- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Le fada ne fascine pas

[1]L’été, au Sud comme au Nord,  à l’Est comme à l’Ouest, rien de nouveau. La rubrique des canidés ratatinés semble désespérément vide, aussi vide que le verre de pastis de M. Pif-Paf après deux heures d’apéros. C’est normal ; c’est l’été et bien que le stupide animal continue  aller chercher la baballe  au milieu de la route – et Paf le chien ! – il fait chaud, ce sont les vacances, et il faudrait voir à ne pas trop surcharger l’humeur chafouine du lecteur surtout s’il déplie le canard et s’alerte des chiens écrasés à l’heure de l’estival apéro. Il faut alors égayer d’autant plus son acrimonie consumériste que les dites vacances passées à faire trempouille et à vider les verres remplis de ce liquide jaunâtre et anisé tirent à leur fin. Rien de tel alors qu’une bonne histoire de voyou qui finit bien, c’est-à-dire par la mort ou le bagne à vie. Et quand le voyou est du païs, c’est encore mieux peuchère ! Pas le dispendieux journal  qui, hélas, n’est pas donné ! Et quand le voyou local a intégré la sphère de l’imaginaire collectif, sous les traits d’un ingénieux et intrépide voleur au grand cœur, on peut alors atteindre les sommets du nirvana lupinien. La Provence, en ce 29 août 214 et sous la plume de Rémy Baldy, avec tout le sérieux qui caractérise cette éminente feuille du Midi, va nous édifier sur l’incroyable vie d’Alexan… de Marius Jacob – le prénom est mis entre guillemets – à l’occasion du jour anniversaire de son suicide, qui a eu lieu un jour plus tôt  et qui est ici envisagé comme l’apothéose d’une vie extraordinaire et fascinante. Fascinante ? Le voyou fascine, soit. La preuve, sa tombe à Reuilly est toujours fleuri  comme l’a remarqué un angevin confrère ! Arsène Lupin a existé. La preuve : la plaque tombale à Reuilly l’affirme. La preuve : le contrôleur général de la police Diaz l’a dit sur les ondes de RTL au mois de février dernier ! La preuve enfin : Jacques Cololombat l’a écrit dans une biographie que l’on pourrait croire référence !  On ne dira rien en revanche de nos commentaires censurés sur le site du journal méridional éclairant pourtant la geste et l’historiographie jacobienne. Le voyou fascine ? Pas le fada de La Provence qui a écrit cet article en tout cas.

Jacob 1903 [2]La Provence

29 août 2014

Il y a 60 ans, l’Arsène Lupin marseillais, Marius Jacob, se donnait la mort

Pour ses derniers instants, Alexandre Marius Jacob réunit tout ce qui le caractérise. Le 29 août 1954, à l’âge de 74 ans, il s’injecte de la morphine et laisse un petit mot : « Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J’ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé ». Une sortie à l’image de ses casses, qui ont fabriqué sa légende : un message sur un petit papier, de l’humour et cette faculté de tout prévoir. Cambrioleur de génie, la vie de « Marius » Jacob n’a rien de celle d’un simple voleur. La légende veut qu’il ait inspiré le personnage d’Arsène Lupin à Maurice Leblanc. Sur sa tombe, à Reuilly (dans l’Indre), on trouve d’ailleurs l’inscription « Marius Alexandre Jacob, peut-être Arsène Lupin ».

Né à Marseille le 29 septembre 1879, il est le fils d’un boulanger ayant beaucoup navigué et grandit dans le quartier de la Belle de Mai. Petit garçon calme, son amour pour les écrits de Jules Verne attise ses envies d’aventures et d’exotisme, des envies qu’il concrétise en devenant mousse dès ses 12 ans. Cette décision lui permet de quitter l’école, qu’il déteste, et de naviguer à travers le monde, notamment en travaillant sur un bateau assurant la liaison Marseille – Nouméa. Des voyages durant lesquels il voit « le haut et le bas » du monde. Comprendre la bourgeoisie, mais aussi les bas-fonds de la société. Autant d’expériences qui lui feront dire des années plus tard : « J’ai vu le monde, et il n’est pas beau« .

« Volons les bourgeois, et redistribuons aux pauvres »

A son retour à Marseille en 1897, il arrive dans un pays où les socialistes et les anarchistes libertaires sont en plein conflit. Parmi ces derniers, on retrouve principalement la classe ouvrière. C’est de ce milieu et de cette mouvance politique que Marius Jacob se rapproche. Les attentats que commettent les anarchistes, face à un Etat qui les réprimande avec férocité (arrestations arbitraires, bagne, condamnation à mort…), leurs donnent une mauvaise image dans la population. Marius Jacob subit cette répression et fait six mois de prison pour une affaire d’explosifs. Une fois sorti, il choisit les cambriolages plutôt que les bombes. Pas seulement pour vivre, mais par idéologie, « puisque les bombes font peur au peuple, volons les bourgeois, et redistribuons aux pauvres« , lui prête-t-on. Une idée l’accompagnera toute sa vie, celle que les personnes fortunées s’enrichissent en volant les pauvres.

Son premier grand coup à lieu en 1899, au Mont-de-piété de Marseille. Âgé de 20 ans, il se déguise en commissaire de police avec deux complices pour arrêter un commissionnaire et confisquer son butin en tant que « pièce à conviction ». Ils emmènent l’homme au Palais de justice et disparaissent. Le butin est de 400 000 francs de l’époque, soit « 100 ans du travail d’un employé de bureau« , raconte Charles Diaz, qui relate ce « coup » sur RTL en février dernier.

Ingéniosité et… éthique

Arrêté, il simule la folie pour éviter la prison. Placé dans l’asile d’Aix-en-Provence, il s’évade et fonde « les travailleurs de la nuit ». Une bande de cambrioleurs qui suivent des règles strictes : ne pas tuer, sauf les policiers et seulement pour protéger sa vie et sa liberté. Ne voler que les « parasites », comprendre les patrons, les juges, le clergé… Surtout pas de professions « utiles ». Les histoires et anecdotes sur ce voleur « moral » sont légions. Lors d’un cambriolage, il se rend compte qu’il s’agit de la maison de Pierre Loti, il décide alors de ne rien voler et laisse un mot : « Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. PS : ci-joint, dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé ».

Ses petits mots sont généralement placés sous le signe de l’humour, il les signe d’ailleurs « Attila ».

L’autre caractéristique de cette association de malfaiteurs qui n’a rien de banal : l’ingéniosité. Les exemples ne manquent pas, Marius Jacob achète notamment une quincaillerie au nom de sa maitresse pour pouvoir commander des coffres-forts sans éveiller les soupçons et s’entraîner à les forcer. Pour vérifier l’absence des propriétaires des maisons qu’il souhaite cambrioler, il coince un bout de papier sous les portes pour voir si elles s’ouvrent dans la journée. On lui doit aussi le « coup du parapluie » qui consiste à faire un trou sur le sol en direction de l’appartement du dessous. Il faut ensuite insérer un parapluie dans ce trou, puis l’ouvrir pour pouvoir casser le sol sans prendre le risque de faire du bruit avec les gravats.

Un procès aux allures de tribune

Son inventivité ne lui empêche pas de faire arrêter en 1903 après un cambriolage durant lequel il tue un policier et en blesse un autre. Le procès débute, deux ans plus tard, à Amiens. Il dure du 8 au 22 mars et concerne 156 vols qualifiés. Le cambrioleur anarchiste ne se défile pas et assume. Mieux, il en profite pour défier la justice et exposer ses idées. Un article du Figaro du 14 mars 1905, dont l’on trouve une partie en 4e de couverture du livre « Alexandre Marius Jacob : Le forçat intraitable » de Jacques Colombat, parle d’un « beau voleur, un voleur accompli, un voleur de métier ayant la fierté de son art et comme un orgueil professionnel ».

Lors du troisième jour de son procès, il lit à la cour son texte « pourquoi j’ai cambriolé » que seul le journal anarchiste Germinal publia. On trouve dans ce texte l’idéologie de Marius Jacob, il explique que « le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ». Le gentleman cambrioleur n’échappe pas à une condamnation au bagne à perpétuité. Enfermé à Cayenne, il sort tout de même en 1927 et devient forain tout en continuant à défendre et propager l’anarchisme. Il termine sa vie à Reuilly où il passe à la postérité.

Jean-Yves Lignel, chroniqueur judiciaire au Courrier de l’Ouest, faisait remarquer sur son blog, il y a un an, que la tombe de Marius Jacob était fleurie. Preuve qu’aujourd’hui encore ce voyou fascine.

Rémi Baldy