- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Fou ou dynamiteur ? Jules Clarenson

[1]Jules Clarenson se fait remarquer une première fois en 1884. Il a 17 ans. Le 20 décembre de  cette année, la cour d’assises de la Gironde le condamne à trois ans d’emprisonnement pour vol et tentative d’homicide sur l’agent de police Reffort. Il obtient une remise de peine de six mois, le 6 avril 1886, mais est arrêté un an plus tard pour son appartenance à une bande de cambrioleurs bordelais officiant des Landes jusqu’à la Dordogne. L’affaire porte sur un cambriolage commis dans une propriété de la famille Yquem dans le quartier de Bordeaux Bastide. Mais Clarenson s’évade après avoir asséné de violents coups de poing aux deux policiers qui le conduisaient au palais de justice.

Repéré à Marseille, il blesse grièvement un des gendarmes venus l’arrêter. La cour d’assises des Bouches du Rhône l’astreint, le 4 août 1890, à une peine de 3 ans d’emprisonnement qu’il ne purge que jusqu’au 15 septembre de l’année suivante, date à laquelle il est interné à l’asile d’aliénés du Montperrin à Aix en Provence. Dès le 10 mars 1890, le médecin chef de l’asile Saint Pierre de Marseille avait alerté les autorités judiciaires sur la folie dont Clarenson présentait les symptômes :

Son état mental actuel  doit faire prévoir le retour des mêmes désordres dans les idées et dans les actes. La suppression des troubles intellectuels n’est pas suffisamment complète pour qu’on doive cesser de considérer Clarenson comme un individu dangereux[1] [2].

Six mois après ce rapport médical, un autre vient confirmer le diagnostic initial. Clarenson simule-t-il la folie ? Est-il réellement atteint d’une espèce de schizophrénie créant chez le sujet deux personnalités bien distinctes ; l’une, l’anarchiste, (…) en possession de ses facultés ; l’autre, l’aliéné, fatalement aux prises avec les atteintes de son affection[2] [3] ? Toujours est-il que Jules Clarenson est libre à la fin de l’année 1891. Nous le retrouvons l’année suivante à Bordeaux, inculpé dans une affaire de possession de dynamite. Le 20 mars 1892, 6 cartouches de cet explosif sont découvertes dans la cave de la maison Soubeyroux, sise au 44 rue Bouquière. Or cette demeure est mitoyenne de celle des Clarenson et la police remarque un trou dans leur cave permettant de communiquer avec celle des Soubeyroux ; Les charges ne sont visiblement pas suffisantes à l’encontre de Clarenson. Le 15 avril, le procureur de la République du parquet de Bordeaux prononce un non-lieu à son égard[3] [4]. Mais, du fort du Hâ, où il attend le verdict de la justice, Clarenson est transféré sur l’asile d’aliénés de Cadillac. Il s’en évade le 22 août.

L’affaire Dekaëtler[4] [5], le 28 février 1893, vient le rappeler à l’attention de la police girondine. Ce jour-là, se tient une réunion anarchiste à Langon. Les compagnons Goua, Dekaëtler et Clarenson s’y rendent. A onze heures du soir, une rixe éclate entre les trois hommes et les dénommés Jean Duluc et Marcel Castets à la gare de Langon. Dekaëtler est tué par Duluc tandis que Clarenson, atteint au visage par un coup de clé, blesse Castets grièvement. Il réussit néanmoins à s’enfuir et à échapper aux recherches de la police qui, en 1894, le signale à Toulouse puis à Marseille.

C’est un cambrioleur dangereux et ferait partie de la bande des faux-monnayeurs arrêtés ces derniers temps[5] [6].

Pendant deux ans, Jules Clarenson demeure introuvable même si on le croit un certain temps en relation avec l’anarchiste espagnol Salvochéa qui résiderait dans la banlieue de la métropole des Bouches du Rhône. Bernard Thomas, dans sa biographie d’Alexandre Jacob, en fait l’amant et le souteneur de Rose Roux[6] [7] autorisant ainsi dans sa narration la rencontre avec l’honnête cambrioleur qui, à cette époque, n’a qu’entre 15 et 17 ans. Quoi qu’il en soit de la véracité de ce propos, il faut attendre le 16 août 1896 pour voir une fois de plus le nom de Clarenson affiché dans la rubrique faits divers de la presse nationale. Il est arrêté à Montpellier en flagrant délit de cambriolage et, au cours de cette interpellation houleuse, il blesse d’un coup de revolver un ouvrier venu en aide aux forces de l’ordre.

C’est de cette interpellation dont il est question dans le dossier Clarenson conservé aux Archives de la ville de Paris. Ce dossier nous permet de préciser le parcours de cet homme légèrement fada mais acteur important des Travailleurs de la Nuit. Pour se soustraire à la justice, Clarenson joue le dérangement mental et s’accuse des attentats commis par l’anarchiste belge Pauwels à Paris rue Saint Martin et rue du faubourg Saint Jacques en février 1894 avant que ce dernier ne se fasse sauter avec son engin explosif à l’église de la Madeleine le 15 mars 1894. Clarenson donne un certain nombre de détails, se justifie politiquement et affirme une certaine tendance suicidaire.  Seulement, il mélange les faits, répond de manière approximative aux interrogatoires judiciaires et l’instruction qui fait suite à ses pseudo-révélations finit par aboutir à une ordonnance de non-lieu. La justice l’envoie alors une fois encore  se faire soigner en asile psychiatrique. Le scénario de l’évasion se reproduit le 23 octobre 1897 et Jules Clarenson ne refait plus parler de lui pendant au moins trois ans, date à laquelle on le retrouve dans le Midi et à Marseille où il a très certainement dû se lier avec les illégalistes locaux et bien évidemment Alexandre Jacob.

[8]Archives de Paris

D.3.U6.56.Clarenson

Interrogatoire

L’an mille huit cent quatre-vingt-seize, le deux du mois de septembre à cinq heures du soir

Devant nous Henri Vernet, Juge d’instruction de l’arrondissement de Montpellier, département de l’Hérault, assisté de Jules Dejean, faisant fonction de greffier, dûment assermenté d’office, accompagné de M. Gaillard, substitut du Procureur de la République,

A comparu Clarenson Jules

A l’interrogatoire duquel nous avons procédé comme suit :

D – Vous venez de m’adresser une lettre dans laquelle vous vous dénoncez vous-même comme l’auteur de deux attentats commis à Paris au mois de mars 1894 ; vous auriez dites-vous déposé des bombes dans deux hôtels ; vous vouliez ainsi atteindre M. Dehrs Commissaire de Police qui avait arrêté Ravachol, persistez-vous dans ces déclarations ?

R – Je vous ai dit la vérité ; j’ai fabriqué à Marseille deux bombes remplies de poudre chloratées, un tube rempli d’acide sulfurique devait en se renversant enflammer la poudre et provoquer l’explosion ; je me proposai de jeter ces bombes dans la salle des séances du Sénat ou à la porte du Palais du Luxembourg à la sortie des sénateurs. La surveillance de la police était trop bien organisée et j’ai dû renoncer à ce projet. Je louai alors dans un hôtel garni de la rue Saint Martin une petite chambre sous le nom de Rabardi ; j’écrivis à M. Dhers Commissaire de Police du quartier une lettre dans laquelle je l’informais que j’allais me suicider à la suite d’un désespoir d’amour, je le priais de venir constater mon décès. J’avais déposé au-dessus de la porte de la chambre une petite planchette supportant une des bombes, la porte en s’ouvrant devait faire toucher cet engin aux pieds de la personne pénétrant dans l’appartement.

Le Commissaire de Police en vint pas lui-même et envoya les agents, la propriétaire les conduisit pour leur indiquer ma chambre dès qu’ils eurent poussé la porte, pour achever de disposer mon appareil, légèrement entrebâillée, la bombe tomba, ils eurent un moment d’hésitation, mais voyant au bout d’un moment qu’aucune explosion ne se produisait ils pénétrèrent dans l’appartement. L’engin éclata alors tuant ou blessant quelques personnes.

L’idée de cet attentat avait été inspirée par l’anarchiste Pauwels et qui périt dans l’église de la Madeleine, victime de son propre attentat. Pauwels n’avait pas voulu me suivre au Sénat et participer à la tentative dont je vous ai parlé tout à l’heure. C’est lui qui écrivit à M. Dhers la lettre qui devait l’amener dans ma chambre.

Je regrette que cette bombe, uniquement destiné à M. Dhers, ait frappé ou tué des personnes que certainement je ne me proposai pas d’atteindre.

J’avais également loué dans un autre quartier que je ne puis vous désigner d’une façon précise car je connais assez peu Paris une autre chambre garnie, je donnai à la longue le nom de Rabardy, le jour même de ma prise de possession j’installai dans les mêmes conditions au-dessus de la porte une bombe dans la même composition. Pauwels écrivit au Commissaire de Police du quartier une lettre signée Rabardy dans laquelle il l’informait de son suicide. Un secrétaire de police arriva, ouvrit la porte et détermina ainsi la chute de la bombe mais l’engin, qui était probablement d’une fabrication défectueuse, n’éclata pas sur le coup. L’agent sachant qu’une explosion venait de se produire quelques heures avant dans des conditions analogues s’enfuit immédiatement, ou prévint M. Girard, Directeur du Laboratoire Municipal, qui prit les mesures nécessaires pour provoquer sans danger l’explosion. Pauwels et moi avions seuls et de concert préparé ces attentats, aucun compagnon n’était dans la confidence, d’ailleurs je ne veux vous dénoncer personne et si je mets Pauwels en cause c’est qu’il est mort depuis longtemps.

Les personnes qui ont pu me voir dans les circonstances dont je vous parle, notamment les propriétaires des chambres que j’ai louées, les garçons d’hôtel peut-être, pourraient aisément me reconnaitre ; pourtant, à cette époque, je ne portais pas comme aujourd’hui la barbe, la moustache était moins forte et je l’avais par précaution légèrement blondie.

J’étais, je crois, vêtu à cette époque d’un costume gris et coiffé d’un chapeau mou.

Je puis préciser que les deux bombes à renversement dont je me suis servi étaient composées des mêmes matières, toutes deux renfermaient des morceaux de fonte et de gros clous de souliers. Ces matières étaient contenues dans des boites de conserve ramassées dans la rue dont l’une était revêtue d’une étiquette de couleur, toutes deux de forme cylindrique et mesurant environ 15 centimètres de longueur sur 7 ou 8 de diamètre. Ces engins avaient été fabriqués à Marseille, je les ai emportés à Paris dans ma sacoche. C’est Pauwels que j’avais déjà eu l’occasion de fréquenter à Marseille qui m’avait fait venir à Paris et comme je ne connaissais qu’assez vaguement cette ville, c’est lui qui m’y pilota et m’indiqua notamment les deux chambres garnies.

J’étais déjà à Paris au mois de juillet 1893, j’avais vu Pauwels à l’usine de produits chimiques où il était employé dans la rue de Paris je crois, en tout cas sur la grande avenue qui conduit de Paris à Saint Denis, c’est là) que je vis pour la première fois Vaillant avec lequel j’échangeai quelques paroles relatives à la création d’un journal anarchiste « L’Agitateur » à Marseille.

Je puis vous dire aussi que Pauwels assistait aux débats de l’affaire Francis devant la Cour d’Assises de la Seine dans les premiers mois de cette année 1893, il était porteur d’une ou plusieurs bombes et était décidé à les lancer dans la salle d’audience dans le cas où Francis serait condamné, il n’eut pas l’occasion de mettre ce projet à exécution car Francis bénéficia d’un verdict d’acquittement. Le dénonciateur Bricou qui dans l’affaire Ravachol avait indiqué à la police un dépôt de dynamite, fut seul condamné à 20 ans de travaux forcés.

D – Dans quel but faîtes-vous aujourd’hui ces révélations ?

R – Je n’ai pas à m’expliquer à ce sujet. Je puis vous dire également que si Pauwels ne consentit pas malgré mes instances à jeter ces bombes au Sénat et à renouveler au Luxembourg l’attentat de Vaillant à la Chambre des Députés, c’est qu’il n’était pas certain du résultat que devait produire l’explosion.

C’est pour expérimenter la puissance destructrice de ces engins que nous commîmes ensembles les deux attentats dont je vous ai parlé.

J’ai compris depuis cette époque la parfaite inutilité des bombes qui au lieu d’atteindre les coupables à qui elles sont destinées frappent presque toujours des innocents et j’ai renoncé à la fabrication de semblables engins.

Lecture faite, persiste et requis de signer déclare être inutile, et avons signé avec Monsieur le Procureur de la République et notre greffier.

[9]Interrogatoire

Le 3 septembre 1896, nous, Henri Vernet, Juge suppléant, délégué dans les fonctions de juge d’instruction,  Jules Dejean, faisant fonctions de commis greffier, dûment assermenté d’office, nous sommes transportés à la maison d’arrêt et avons interrogé l’inculpé Clarenson ainsi qu’il suit :

D – Persistez-vous dans vos déclarations ?

R – Je persiste, j’ai dit la vérité.

D – Pourquoi dans les hôtels meublés où vous prétendez vous être présenté avez-vous pris le nom de Rabardy ?

R – Pauwels avait trouvé égarés dans la rue des papiers égarés au nom de Rabardy, un extrait de casier judiciaire et un acte de naissance je crois. Dans une des maisons où je me suis présenté on m’a demandé mes pièces. Je les ai exhibées spontanément dans l’autre, on m’a inscrit sous le nom porté dans les pièces qui étaient en ma possession.

D – Dans quelles conditions vous êtes-vous présenté à l’hôtel du faubourg Saint Martin où a eu lieu l’attentat dirigé contre M. Dhers ?

R – Je me suis présenté dans cet hôtel vers 10 ou 11 heures du matin, je crois, je portais ma bombe sous le bras enveloppée comme un paquet dans des journaux ; la chambre que l’on me donna était située à un des étages supérieurs de la maison au 4 ou au 5 je crois. Je me souviens seulement que l’escalier qui y conduisait devenait à cette hauteur très rapide, presque vertical, en forme d’échelle, et en rappelant mes souvenirs, je crois pouvoir vous dire que cette chambre était située au dernier étage de la maison. Cet appartement était très mal meublé, garni seulement d’un lit, d’une table et de deux chaises.je en restai qu’un moment dans cette chambre et sortis presque aussitôt pour aller préparer l’autre attentat. Après avoir déjeuné, je me rendis rue Saint Jacques à la chambre louée depuis la veille pour disposer le second engin au-dessus de la porte d’entrée ; je revins vers trois heures à l’hôtel du faubourg Saint Martin pour préparer l’explosion. Les deux attentats devaient en effet se produire simultanément.

D – Où logiez-vous à Paris avant et après ces deux attentats ?

R – J’avais loué une chambre à Montmartre dans un hôtel garni, rue des trois frères, je crois me souvenir que dans cette maison habitaient en même temps que moi deux cordonniers que je connaissais quelque peu.

D – Combien de temps êtes-vous restés à Paris après cette affaire ?

R – Cinq ou six jours je crois avant de repartir pour Marseille, je voulais amener Pauwels avec moi, mais il refusa de me suivre retenu à Paris par sa femme et ses enfants, il n’habitait pourtant pas à cette époque avec sa famille et se montrait le plus rarement possible à son domicile car à cette époque il était recherché par la police pour l’affaire Vaillant, je me proposais alors de faire sauter le casino de Monte Carlo, mais j’ai été retenu par la crainte de frapper des innocents. J’avais aussi l’intention l’année dernière de me rendre à Trouville où se trouvait alors en villégiature M. de Rothschild, je n’aurais pas hésité à le tuer car il personnifie à mes yeux la société bourgeoise et capitaliste. Je n’ai été retenu dans l’exécution de ces divers attentats que par la crainte de provoquer un redoublement de sévérité dans la répression et d’entraver ainsi la propagande anarchiste.

Lecture faite et requis de signer, déclare considérer l’apposition de sa signature au bas du présent procès-verbal comme une formalité inutile.

Lettre de Jules Clarenson

Reçu le 2 septembre 1896 à 5 heures du soir

M. le Juge d’Instruction

La conversation que je viens d’avoir tout à l’heure avec vous et Mr le Procureur m’a fait beaucoup réfléchir au sujet de la peine capitale, de la condamnation à mort que j’attends, puisque l’accusation qui pèse contre moi ne suffit pas, je vais vous dévoiler un crime ou plutôt deux que j’ai commis.

C’est moi qui suis le faux Rabardy, c’est moi qui ai mis au commencement de mars 1894à Paris les deux bombes dans les hôtels dont l’une tua une femme et blessa deux agents, l’autre ne partit pas et l’on fut obligé de lui faire faire explosion sur place. Je visais M. Dhers, le commissaire qui avait arrêté Ravachol, souvenez-vous des faits et vous verrez que tout est exact et que c’est moi qui suis bien Rabardy que l’on n’a jamais pu retrouver.

Je profite de la même occasion pour vous prier encore une fois de ne pas tenir compte des lettres de ma mère ; ce qu’elle dit sont les divagations de l’amour maternel, je suis parfaitement et complètement responsable de mes actes ; d’ailleurs, avec M. le procureur, vous avez été forcé de reconnaitre que je suis logique, c’est la raison et non pas la folie, c’est l’amour maternel qui égare ma mère, je vous le répète, car elle préfère voir son fils pourrir dans un cabanon de fou que mourir en martyr sur l’échafaud.

Je suis Monsieur le Juge votre respectueux serviteur.

Jules Clarenson

Tribunal de 1e instance de Montpellier

Cabinet du juge d’instruction

Montpellier le 5 septembre 1896

Monsieur le Procureur de la République,

Un nommé Clarenson, détenu à la prison de Montpellier, vient de m’adresser une lettre dans laquelle il prétend être l’auteur de deux attentats anarchistes commis à Paris, au mois de février 1894 ; il aurait sous le faux nom de Rabardy, loué deux chambres dans des hôtels meublés situés dans les rues Saint Jacques et du faubourg Saint Martin, et disposé dans ces appartements des bombes dont l’explosion aurait tué ou blessé plusieurs personnes.

J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint, à toutes fins utiles, avec la lettre de cet individu des déclarations complémentaires que je me suis empressé de recueillir.

J’estime qu’il y a lieu d’examiner très attentivement les révélations de Clarenson, en raison de leur gravité exceptionnelle et surtout de la personnalité de leurs auteurs.

Je crois d’abord utile de vous renseigner de façon complète sur les antécédents et le passé de cet individu qui est en même temps qu’un malfaiteur de la pire espèce, un anarchiste des plus dangereux.

Clarenson (Jules Alexandre Gabriel)  est né à Saintes (Charente Inférieure) le 31 janvier 1867 de Jean et de Fragnaud Estelle. Il fut pendant quelques années élève au lycée de Bordeaux ; à peine âgé de 12 ans et demi, il était, le 20 décembre 1884, condamné par la Cour d’Assises de la Gironde à trois ans de prison pour vols qualifiés. Arrêté sous la même inculpation le 20 octobre 1887, il s’évadait le même jour du Palais de justice, après avoir proféré les menaces les plus violentes contre le juge d’instruction qui l’interrogeait.

Arrêté à Marseille en flagrant délit de vol, il blessa un agent d’un coup de revolver. Au cours de l’information, Clarenson fut examiné par plusieurs médecins puis envoyé à Bordeaux où trois docteurs l’examinèrent à nouveau. Les hommes de l’art furent unanimes à déclarer l’inculpé irresponsable et le 8 novembre 1889 le juge d’instruction de Bordeaux rendait en sa faveur une ordonnance de non-lieu.

Il était néanmoins traduit le 4 août 1890 devant la cour d’assises des Bouches du Rhône ; sur les rapports du médecin de la prison d’Aix et du médecin en chef de l’asile des aliénés de Marseille certifiant la responsabilité au moins relative de l’inculpé, il fut condamné à trois ans d’emprisonnement.

Au mois de février 1892, après avoir obtenu une remise de peine, il était poursuivi à Bordeaux pour détention illégale de dynamite ; malgré les graves présomptions relancées à sa charge, il bénéficia d’une ordonnance de non-lieu ; mais, sur l’initiative du parquet, M. le Préfet de la Gironde ordonna, par mesure administrative, son internement à l’asile d’aliénés de Cadillac, dont il parvint à s’évader au mois d’août suivant.

Le 26 juillet 1892, la 1e Chambre du tribunal Civil de Bordeaux prononçait son interdiction pour cause d’aliénation mentale ; le jugement fut rendu par défaut mais après interrogatoire des défendeurs à la Chambre du Conseil, le Conseil de Famille, à l’unanimité de ses membres, avait émis un avis favorable à l’interdiction.

En mars 1893, Clarenson se rendait, escorté de deux anarchistes, à Langon (Gironde) pour visiter les « compagnons » de cette localité. Au cours d’une discussion survenue avec les jeunes gens de Langon, Clarenson et ses amis blessaient plusieurs personnes à coups de revolver. Un des anarchistes trouva la mort dans cette rixe et l’on découvrit sur les lieux une sacoche garnies de fausses clés et de pinces, abandonnée par les malfaiteurs. Clarenson réussit à s’enfuir mais il est de ce chef sous le coup d’un mandat d’arrêt décerner par le juge d’instruction de Bazas pour tentative de meurtre et vols qualifiés.

L’inculpé, depuis cette époque, parait s’être réfugié sur Marseille ; il a de son propre aveu commis des vols nombreux et importants ; il fréquentait en outre tous les anarchistes militants de la région, se livrait à une propagande des plus actives et aurait même pris la direction ou la gérance d’un organe libertaire « l’Agitateur ». La police de Marseille semble d’ailleurs ne jamais s’être préoccupée de ses agissements et n’a pu, jusqu’ici, ne fournir aucun renseignement sur son compte.

Le 16 août dernier, Clarenson était à Montpellier en compagnie d’un complice resté inconnu, surpris en flagrant délit de vols ; son arrestation fut des plus mouvementées ; il tirait des coups de revolver sur les agents et blessait assez sérieusement une des personnes qui essayaient de s’opposer à sa fuite. Il était, en outre, porteur d’un petit pistolet à la crosse duquel se vissait une cartouche contenant, a-t-il déclaré, de la dynamite ; il avait, dit-il, l’intention de provoquer l’explosion et de faire sauter avec lui, les agents et les passants qui avaient opéré ou facilité son arrestation.

Ecroué à la maison d’arrêt, l’inculpé prétendit d’abord s’appeler Fournil (Marius Louis) né à Paris, le 10 février 1868. On trouva en effet en sa possession des papiers d’identité au nom de Fournil, notamment une carte d’électeur (écornée) de la ville de Marseille et deux photographies au bas desquelles cette signature était légalisée par le maire de cette ville ; mais, vérification faite au casier judiciaire, on ne trouva pas d’acte de naissance applicable.

J’avais fait mettre cet individu au secret ; le 22 août le gardien chef vint me prévenir que ce détenu avait tenté de se prendre dans sa cellule, à l’aide d’une corde fabriquée avec les draps de sa couche. Interrogé immédiatement, l’inculpé au cours d’une violente crise de désespoir, me révéla sa véritable identité.

J’ai été informé depuis, par le Parquet de Marseille, que des anarchistes de cette ville s’étaient rendus à Montpellier avec l’intention de faire évader leur camarade. Toutes les précautions ont été prises pour empêcher la mise à exécution de ce projet.

Le 2 septembre courant, Clarenson avec qui j’avais des entrevues presque quotidiennes, m’adressa la lettre qui fait l’objet de ce rapport. Je l’interrogeai immédiatement et il compléta, en les précisant, ses déclarations écrites.

Je ne puis, en ce qui me concerne, en vérifier l’exactitude et en apprécier la valeur ; c’est à vous seuls, Monsieur le Procureur de la République, qu’un tel rôle doit être réservé ; mais je suis personnellement convaincu que Clarenson est sincère, lorsqu’il se dénonce comme l’auteur de crimes jusqu’à ce jour impunis.

Une particularité surtout m’a frappé ; les personnes qui ont pu apercevoir le faux Rabardy ont, disent les journaux de l’époque, remarqué que cet individu, aux apparences assez frêles et délicates, avait les mains très fortes. Or, les mains de Clarenson sont en effet caractéristiques par leurs dimensions anormales ; ce fait a été relevé par les médecins comme un signe de dégénérescence physique…

Pour vous permettre d’apprécier, d’une façon complète, avec la personnalité de Clarenson, la valeur et la partie des révélations, je crois devoir, en terminant, vous faire connaitre les conclusions du rapport spécial adressé sur son compte, le 18 avril 1892, par le Procureur de la République de Bordeaux au Préfet de la Gironde.

« De tout ce qui a précédé, il résulte :

« 1e que le nommé Clarenson est un malfaiteur dangereux au premier chef.,

« 2e qu’il a été établi à son encontre de graves présomptions d’être l’auteur du dépôt clandestin de dynamite découvert dans la case de la maison qu’il habite,

« 3e qu’il est anarchiste et en relation avec des anarchistes militants,

« 4e qu’en admettant qu’il soit actuellement dans un intervalle lucide, dans une période de rémission, son dérangement cérébral se reproduira certainement d’un jour à l’autre, avec toutes ses conséquences ; qu’il n’est pas guéri,

« 5e que dans ces conditions, il peut être entre les mains des anarchistes un instrument d’autant plus redoutable que, grâce à son état d’aliénation mentale, il n’a pas à craindre pour les actes qu’il commettrait les mêmes châtiments qu’un accusé sain d’esprit,

« …. Clarenson libre constitue un danger public pour la vie des personnes et la sécurité des propriétés. »

L’inculpé parait aujourd’hui jouir de tout son bon sens ; fort intelligent, assez instruit, il résonne avec d’autant de clarté que de logique ; mais il se passionne et s’exalte facilement lorsqu’il expose et discute les théories qui lui sont chères. Quoi qu’il en soit, en raison de ses antécédents et en présence des décisions judiciaires proclamant son irresponsabilité, il parait indispensable de le soumettre à ce point de vue à un nouvel examen médical.

J’ai l’honneur de vous transmettre sous ce pli, avec la lettre qui m’a été adressée par Clarenson, la copie du procès-verbal constatant ses déclarations, la fiche anthropométrique et trois photographies de l’inculpé ; les photographies 1 et 2 représentent la physionomie actuelle du susnommé ; la photographie 3 parait s’appliquer à une époque antérieure.

Veuillez agréer Monsieur le Procureur de la République l’assurance de ma respectueuse considération.

Pour le Juge d’Instruction en congé

Le Juge suppléant délégué

[H Vernet]

[10]N°6173

14 septembre 1896

M. le Procureur Général,

En réponse à vitre dépêche en date de ce jour, j’ai l’honneur de vous faire connaître les faits suivant. Monsieur le juge d’instruction de Montpellier m’a informé par une lettre en date du 5 septembre courant que le nommé Clarenson détenu à la maison d’arrêt de cette ville sous l’inculpation de vol et violences envers agents,  venait de lui avouer être l’auteur des attentats commis en février 1894 dans les maisons sises au 47 rue du faubourg Saint Martin et 69 rue Saint Jacques par un individu ayant pris le faux nom de Rabardy, et ayant occasionné notamment la mort d’une dame Rey. Monsieur le Juge d’instruction de Montpellier me transmettait en même temps la lettre par laquelle le détenu Clarenson s’était reconnu coupable de ce double crime, ainsi qu’un interrogatoire dans lequel il donnait les détails les plus précis sur la préparation et la perpétration de ces attentats, qu’il aurait organisé et accompli à l’instigation et sur les instructions de l’anarchiste Pauwels, tué lors de l’explosion de la Madeleine. Monsieur le juge d’instruction joignait à cet envoi une longue notice de renseignement de laquelle il ressort notamment que Clarenson, qui a été momentanément interné à l’asile des aliénés de Cadillac, est « un malfaiteur de la pire espèce et un anarchiste des plus dangereux ». L’information ouverte à mon parquet à la suite du double attentat ci-dessus rappelé avait été close le 29 janvier 1894par une ordonnance de non-lieu.

Après en avoir référé, j’ai requis le 9 de ce mois information sur charges nouvelles contre Clarenson et j’ai remis le dossier à Monsieur le juge d’instruction Meyer, qui avait instruit la première procédure.

Rien n’est venu jusqu’à présent confirmer les prétendues révélations du détenu de Montpellier. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant des suites de cette information.

Parquet de la Cour d’Appel de Paris

Paris, le 14 septembre 1896

Monsieur le Procureur de la République,

Monsieur le Procureur général de Montpellier a informé M. le garde des Sceaux que le nommé Clarenson, arrêté dans cette ville, a prétendu n’être autre que le nommé Rabardy, auteur des explosions de dynamite de la rue Saint Jacques et du faubourg Saint Martin, en 1894. Les déclarations de Clarenson ont été, avec tous renseignements utiles, transmis à votre parquet.

Je vous prie de bien vouloir me tenir au courant de cette affaire.

Recevez Monsieur le Procureur de la République l’assurance de ma considération très distinguée.

Le Procureur Général

Préfecture de Police

Direction générale des recherches

Objet : au sujet du nommé Clarenson

Paris, le 15 septembre 1896

Rapport

J’ai l’honneur de rendre compte à Monsieur le Juge d’Instruction qu’on n’a pas trouvé trace du passage à Paris du nommé Clarenson Jules, âgé de 29 ans.

Il est inconnu des agents de mon service et les différents bureaux administratifs ne possèdent pas de document le concernant.

Tous les hôtels de la rue des Trois Frères ont été vérifiés. La photographie de Clarenson a été montrée aux logeurs. Aucun ne l’a reconnu pour l’avoir eu comme locataire.

A toutes fins utiles, je signale que des anarchistes auraient demeuré à l’hôtel situé au n°18 de le rue des Trois Frères. Parmi eux, il y avait un nommé Renard Eugène Victor, âgé de 26 ans, né à Paris, qui a été arrêté en décembre 1893.

Ci-joint les 3 photographies

Le commissaire de police

Eugène André

Interrogatoire

L’an mille huit cent quatre-vingt-seize, le quinze du mois de septembre à dix heures du matin

Devant nous Albert Brousse, Juge d’instruction de l’arrondissement de Montpellier, département de l’Hérault, assisté de Louis Coulomb, notre greffier,

Dans notre cabinet, au Palais de justice,

A comparu Clarenson Jules (déjà interrogé)

A l’interrogatoire duquel nous avons procédé comme suit :

D – Croyez-vous pouvoir persister dans la déclaration que vous avez déjà faites, le 2 courant, au sujet de 2 attentats commis à Paris, dans des conditions que vous avez-vous-même indiquées ?

R – Je persiste à déclarer que je suis bien l’auteur des deux attentats dont j’ai déjà parlé.

D – Pouvez-vous préciser à quelle date ont eu lieu ces deux explosions ?

R – Je crois bien que c’est au commencement du mois de mars 1894 ; mais je n’en suis pas sûr.

D – Etes-vous arrivés à Paris quelques temps avant les explosions et à quelle date en êtes-vous partis ?

R – Je suis arrivé à Paris peu de jours avant les explosions et j’en suis reparti quelques jours après.

D – Sous quel nom vous êtes-vous inscrit à l’hôtel des Trois Frères où vous prétendez avoir logé ?

R – Je ne m’en souviens pas et je ne suis pas même sûr que ce soit l’hôtel des Trois Frères où je suis descendu.

D – Veuillez donner la description de la chambre autre que celle de la rue Saint Martin dans laquelle a eu lieu une des explosions ?

R – C’était une chambre d’hôtel ordinaire ; je n’ai rien remarqué de particulier.

D – Pouvez-vous donner spécialement la forme de la fenêtre par laquelle elle prenait jour ; sur quoi elle prenait jour ; si c’était une rue ou une place ?

R – depuis le temps je n’ai pas gardé le souvenir de ces détails, notamment de la forme de la fenêtre. Elle prenait jour sur une rue ou sur une place, c’est-à-dire non sur une cour intérieure ; mais je ne puis me souvenir exactement si c’est exactement une pace ou une rue.

D – Quel est celui des deux attentats qui visait le commissaire de police qui avait procédé à l’arrestation de Ravachol.

R – N’ayant pas fait moi-même les lettres à l’adresse du commissaire de police, car c’était Pauwels qui les avait faites, je ne puis rien préciser, mais il me semble pourtant que c’est l’attentat de la rue Saint Martin, c’est-à-dire la première de deux, qui visait le commissaire de police qui avait arrêté Ravachol.

D – Quel est exactement le nom de ce commissaire de police ?

R – Je crois bien que c’est Dersh ; je sais que le nom commence par un D, qu’il y a un r et un s dans le nom. Je ne puis pas mieux préciser.

D – Veuillez m’expliquer la composition exacte des engins, dont vous prétendez avoir fait usage, les projectiles qui y étaient enfermés, l’inscription ou les inscriptions qu’on pouvait lire sur les boites de conserve, qui en constituaient l’enveloppe extérieure et de quelle façon cette enveloppe était consolidée ?

R – Je me suis déjà expliqué à cet égard. J’ai fait usage de boites de conserve que j’avais ramassé dans la rue à Marseille ; ces boites portaient en effet des inscriptions mais je ne me rappelle pas ce qu’il y avait dedans, et le tout était consolidé au moyen de fils de fer. Ces bombes étaient remplies, je l’ai dit, de poudre chloratée ; il y avait comme projectiles des morceaux de fer, des  clous et aussi, je crois, quelques balles de revolver. Dans chaque bombe se trouvait un tube d’acide sulfurique qui devait, en se renversant, enflammer la poudre et provoquer l’explosion. Je sais qu’il y avait dans la poudre du chlorate de potasse en grains mélangés avec du soufre et du sucre. J’ai déjà dit que j’avais fabriqué ces engins à Marseille et que je les avais emportés tout prêts à Paris.

D – Par quel procédé avez-vous fait tenir au-dessus des portes des chambres la petite planchette sur laquelle étaient placés les engins et par quel moyen avez-vous assuré la chute de ces engins, au moment de l’ouverture des portes ?

R – A l’extrémité supérieure du chambranle, j’avais fixé une planchette sur laquelle était placé l’engin ; en face sur la partie supérieure du volant de la porte, j’avais fixé à l’aide d’un clou seulement un petit bâton qu’on pouvait plier dans le sens vertical pour fermer la porte et qu’on plaçait ensuite quand la porte était fermée sur la planchette où était l’engin, de façon qu’en ouvrant la porte, ce petit bâton poussait l’engin et le faisait tomber par terre. C’est de cette façon que j’ai opéré dans les deux chambres de la rue Saint Martin et de l’autre rue dont je ne me souviens pas le nom.

D – Veuillez écrire sous ma dictée les mots suivants : « Rabardy Etienne, 26, monteur mécanicien, Laval Mayenne, Laval id, date de naissance, certificat de travail ».

R – Il doit y avoir quelque chose là-dessous ; je me refuse formellement à écrire ces mots et vous avez d’ailleurs comme pièces de comparaison d’autres spécimens de mon écriture, qui suffiront à ce qu’on veut en faire. Je ne crois pas m’être inscrit moi-même dans les chambres que j’ai occupées à Paris ; on a dû me demander des indications que j’ai fournies mais je ne me rappelle pas avoir écrit moi-même.

Lecture faite, l’inculpé persiste, refuse de signer sans contester d’ailleurs l’exactitude du présent interrogatoire, et nous avons signé.

[1]Préfecture de Police

Ville de Paris

Commissariat de Police

3e brigade de recherche

L’an 1896 le 16 septembre,

Nous, Eugène André,

Commissaire de police de la ville de Paris, plus spécialement chargé de la 3e Birgade des recherches, officier de police judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République,

Agissant pour l’exécution d’une commission rogatoire de M. Meyer, Juge d’Instruction près le Tribunal de 1e Instance de la Seine.

Nous sommes rendus au bureau de la rédaction de l’Intransigeant, rue Montmartre, cent quarante-deux.

Où étant nous avons trouvé Monsieur Philippe Dubois, rédacteur au dit journal, nous lui avons fait connaitre notre qualité et le but de notre visite.

Monsieur Dubois, à nos interpellations, a déclaré :

La lettre signée Etienne Rabardy, publiée dans le numéro de l’Intransigeant à la date du 14 septembre 1896, a été trouvée dans la boite du journal le lendemain de l’attentat de la rue Saint Jacques et du faubourg Saint Martin.

Selon votre désir, je vous dépose cette lettre ainsi que l’enveloppe qui la contient. Je désirerais toutefois qu’elles me soient remises dès que la justice n’en aura plus besoin.

Je considère cette lettre comme un document intéressant étant donné les faits dont il s’agit.

Le commissaire de Police

Guy André

Nous annexons au présent la lettre à nous déposée par Monsieur Dubois composée de cinq feuilles écrites seulement au recto, contenu dans une enveloppe dont le texte est le suivant :

Intransigeant 142 rue Montmartre

Lettre écrite par Pauwels et signée Rabardy

Citoyen administrateur

Dans lespoir d’arrété dès le début ou tout au moins aténuer les persécution qui pourait pleuvoir sur les compagnons anarchiste à la suite des deux derniers attantas

L’auteur vous adresse la lettre suivante , je pui vous affirmer et vous pourrez me croire je nait pas intérêt à mentir que depuis mon arrivée a paris dont je veux cacher la date pour le moment je nait vu ni prevenu ni écrit a qui que ce soit connaissant trop bien les proceder de la police je me serait bien garder de compromettre les amis par ma presence chez eux visite qui m eut d’abord compromis autant qu’eux puisque tous sons surveiller Or je tenait dautant plus a ne pas me compromettre avec qui que se soit que je suis renus a paris avec l’intention bien arretee de continuer l’œuvre de destruction entreprise par mes predecesseurs contre le système social actuel tout entier atteindre les saistfait et par satisfait sentent tout les individus partisant du regime actuel dans les fonctions de leur existence quel que soi lendroi ou ils se trouve demontrer a ces meme satisfait qu’il ne pouront vivre dormir et samuser en un mot jouir d eleur courte vie quand tout le monde poura en faire autant sils veulent vivre en paix ils faudra bien qu’ils ameliore le sort des pauvres qui peine et qui creve de besoin toute leur vie jusque la pas de repos pour eux la chasse partout dans les theatres dans les cafés dans toute les anministrations et jusque dans la rues, a quoi nous sert la vie des autres si nous ne pouvons vivre a quoi toutes les jouissance de la vie si nous navons comme part que les misère

Toute les mesures policiere ne peuvent rien contre l’homme determiné qui a sacrifié sa vie et je sui de ceux la si je ne me sui pas laissez arrete cest parce que je nais pas fini mon œuvre je veut faire payer a la classe des satisfait toutes les soufrances et les persecutions subie la mort est loin de meffrayer puisque jait porter mes bombe plus de quinzes jours sur moi et quelles pouvait eclater dun moment a lautre bien quayant été traiter de lache par plusieurs de vos confrerre aucun deux je pense nosserait en faire autant, je vous le repette la mort ne me fait pas peur et quand je naurez plus pour agir la resource des bombe il me il me restera toujour pour commettre une derniere action le révolver ou un coutaus a planté dans la poitrine du premier repu venus ? la bourgeoisie veut la guerre elle laura terrible sans pitié  et sans merci jusqu’au jour de sa disparition tanp pis pour ceux qui serons ateint ceux qui ne sont pas avec nous son contre nous le sort de tout ceux qui asiste indiférent a lexécution lemprisonnement les perquisition des hommes qui lutte pour le bien être ne nous interesse pas non plus nous avons dabord preche la pitié l’amour et l humanité en un mot toute la lyre semsibles on nous a repondus par la prison et la famine maintenant nous prechons plus que la haine et la destruction dune societe pourie

Pour finir jeu préférer que ca soi les deux commissaire qui soit ateint car cétait bien contre eux qu’était diriger lattentat malgrès cela je ne plain nulement la propriétaire de l hotel cela servia de leçon aux autres et les corigera peut être de leur curiosité malsaine la seule chosse que je craignait était pour la concierge du faubour martin

en voila assez pour aujourdhui je vous direz dans une segonde lettre les motifs qui mon fait choisir Dresch et Beluins, jusqua nouvel ordre je signe Rabardy et pour vou édifié vous et vos lecteur je vous direz que je nait pas volé ces papiers mai que je les ait trouver cest bizar mai cest ainsia tous et a la revolution Social

Etienne Rabardy

sont père est né à Saral le 5 avril 1838

et il est le fils de Rosalie antoinette Phillipo

ceci dit pour vous prouver que cest bien lauteur qui vous écrit

[8]Interrogatoire

L’an mille huit cent quatre-vingt-seize, le dix-sept du mois de septembre à dix heures du matin

Devant nous Albert Brousse, Juge d’instruction de l’arrondissement de Montpellier, département de l’Hérault, assisté de notre greffier,

Dans notre cabinet, au Palais de justice,

A comparu Clarenson Jules (déjà interrogé)

A l’interrogatoire duquel nous avons procédé comme suit :

D – Vous entendez rétracter aujourd’hui les attentats commis à Paris en 1894, et dont vous vous êtes reconnus l’auteur dans vos précédents interrogatoires ?

R – Oui, Monsieur, car je n’ai pas commis ces crimes, et je déclare aujourd’hui que j’y suis complètement étranger.

D – Vous n’étiez même peut-être pas à Paris à l’époque des attentats, que vous placiez par erreur, dans votre précédent interrogatoire, au mois de mars 1894, et qui ont eu lieu au mois de février précédent ?

R – En effet, à l’époque des attentats j’étais à mon adresse dans cette ville. Peut-être même me trouvai-je à Nice à cette date.

D – C’est probablement par les journaux que vous avez appris certains détails, que vous avez fournis sur ces attentats, d’ailleurs d’une façon inexacte sur plusieurs points ?

R – C’est  en effet par les journaux que j’avais appris tous les détails, et depuis cette époque j’ai pu en oublier certains, ou les présents inexactement.

D – Comme anarchiste, vous devez connaitre l’auteur de ces attentats ?

R – Oui, je crois que c’est Pauwels ; il me semble bien qu’on m’a dit que c’était lui qui en était l’auteur.

D – Pourquoi vous étiez-vous accusé faussement de ces deux attentats, qui pouvaient avoir pour vous les conséquences les plus graves ?

R – C’est précisément pour m’exposer à toutes ces conséquences que je suis loin de redouter et que j’appelle au contraire de tous mes vœux, que je m’étais déclaré l’auteur de ces attentats, auxquels je suis complétement étranger, je le répète. On m’avait dit que les faits qui me sont reprochés à Montpellier ne suffiraient pas pour entrainer contre moi la peine capitale, maintenant que je sais que la tentative de vol qualifié qu’on met à ma charge, accompagnée même d’une simple tentative de meurtre, peut rigoureusement entraîner contre moi la peine de mort, je n’ai plus aucun intérêt à mettre à ma charge des faits que je n’ai pas commis et j’espère bien, puisque la loi me permet de m’envoyer à l’échafaud, qu’on m’appliquera à cette loi toute sa rigueur.

D – Pourquoi désirez-vous la peine de mort, ce qui est contre nature ?

R – Parce qu’il le faut, parce que j’ai accompli ma mission sur la terre et que je dois mourir sur l’échafaud comme un martyr pour couronner mon œuvre.

Lecture faite, l’inculpé a persisté mais a déclaré ne vouloir signer, ne voulant en aucune façon, par sa signature, avoir l’air de reconnaitre notre justice.

Et nous avons signé avec notre greffier.

Rapport de M. Gobert, expert en écriture

Affaire Clarenson

A Monsieur H. Meyer, juge d’instruction à Paris

Monsieur le Juge,

Par votre ordonnance du 18 septembre courant vous avez bien voulu me charger, serment préalablement prêté, de l’examen graphique d’une lettre adressée le 2 courant à Monsieur le Juge d’instruction du tribunal de Montpellier, signée Jules Clarenson, et de déterminer si l’écriture de ladite lettre présente une analogie quelconque avec l’écriture des divers documents émanant de Pauwels et compris à la procédure instruite contre Rabardy, en février 1894, et très spécialement avec un bulletin d’arrivée à l’hôtel également compris au dit dossier.

J’ai l’honneur de vous faire connaître le résultat de nos examens et vérifications :

Dans mon rapport du 1er mai 1894, relatif à l’individu qui prenait le nom de Rabardy, Etienne, j’ai établi graphiquement que cet individu n’était autre que Pauwels. Les lettres missives adressées à Messieurs Dresch et Belouin, commissaires de police, ainsi que le bulletin d’arrivée à l’hôtel du faubourg Saint Martin, 46, compris au dossier de l’affaire Rabardy étaient tracés de l’écriture naturelle et normal de Pauwels, tué à l’explosion de l’église de la Madeleine à Paris. Cette écriture a permis d’arriver à une démonstration précise et formelle d’identité de personne.

Depuis, ces jours derniers, le nommé Clarenson détenu à Montpellier, a écrit à monsieur le juge d’instruction de cette ville la lettre jointe dans laquelle il prétend être l’auteur des explosions ou tentatives d’explosion des hôtels meublés de la rue Saint Jacques et du faubourg Saint Martin, survenues en février 1894, et à juste titre attribuées à Pauwels. Vous me chargez d’examiner et de vérifier si l’écriture de cette lettre de Clarenson présente une analogie quelconque avec celle de Pauwels, dit Rabardy ?

Il n’y a pas la moindre analogie : l’écriture de Clarenson est de beaucoup supérieure à celle de Pauwels qui écrivait comme un écolier ; de plus, les deux écritures présentent des types essentiellement différents. Le rapprochement que j’en ai fait met en évidence un nombre considérable de dissimilitudes graphiques permettant d’être absolument affirmatif. Ainsi que vous me le prescrivez dans votre ordonnance, mes comparaisons ont spécialement porté sur le bulletin d’arrivée à l’hôtel du faubourg Saint Martin.

De plus, mes comparaisons ont également été faites avec la longue lettre signée Rabardy, évidemment écrite par Pauwels au journal L’Intransigeant, à la suite des explosions de février 1894, lettre saisie ces jours-ci.

J’allais faire ici l’exposé des détails de ma vérification lorsque votre lettre d’hier m’est parvenue et m’a fait connaître la rétractation de Clarenson au sujet de sa prétendue culpabilité aux attentats anarchistes de février 1894. Je m’arrête.

En résumé :

L’écriture de Clarenson n’a aucun rapport avec celle de Pauwels, dit Rabardy, auteur des explosions, à Paris, des 19 et 20 février 1894.

Paris, 21 septembre 1896

A. Gobert

[9]Relevé des bulletins individuels de condamnations alphabétiquement classés au casier judiciaire

Concernant le nommé Clarenson Jules Alexandre Gabriel

Agé de 29 et né à Saintes

Le 31 janvier 1867

Fils de Jean André

Et de Estelle Fragnaud

20 octobre 1884 / Bordeaux / vols qualifiés / 3 ans de prison

4 août 1890 / Aix / vol qualifié / 24 octobre 1887 / 3 ans de prison

Saintes le 9 novembre 1896

Réquisitoire définitif

Le Procureur de la République près le tribunal de première instance du département de la Seine, séant à Paris,

Vu la procédure instruite contre le nommé Clarenson (Jules Alexandre Gabriel), 29 ans, inculpé d’homicide volontaire et de destruction d ‘habitation par substance explosible, et tentatives,

Détenu p.a.c. à Montpellier.

Expose :

Au cours d’une information suivie contre lui pour vol au Parquet de Montpellier, le nommé Clarenson, qui parait être un anarchiste militant, déclara qu’il était l’auteur de deux attentats anarchistes commis à Paris, le 20 février 1894 par un soi-disant Rabardy, dans deux chambres d’hôtes meublés 69 rue Saint Jacques et 49 rue du faubourg Saint Martin. Mais certains détails que Clarenson donnait relativement à ces attentats ne correspondaient pas à la réalité des choses. Il était constaté d’autre part par M. l’expert Gobert qu’il n’y avait pas la moindre analogie entre l’écriture de Clarenson et celle de l’auteur des deux lettres adressées par le soi-disant Rabardy aux Commissaires de Police Dresch et [Beloing] et du bulletin d’entrée à l’hôtel du faubourg Saint Martin écrit par le même soi-disant Rabardy.

Sur ces entrefaites, le nommé Clarenson s’est rétracté et a déclaré qu’il n’avait pas commis les crimes dont s’agit.

En conséquence, attendu que les inculpations ne sont pas suffisamment établies, vu l’article 128 du Code d’instruction criminelle, requiert qu’il plaise à M. le Juge d’Instruction dire qu’il n’y a lieu de suivre.

Au Parquet, le 14 novembre 1896

Tribunal de 1e instance du département de la Seine

Nous, Henri Meyer, juge d’instruction au tribunal de 1e instance de la Seine, vu la procédure instruite contre le nommé Clarenson Jules Alexandre Gabriel 29 ans, inculpé d’homicide volontaire, destruction d’habitations par substances explosibles, tentatives

Vu le réquisitoire de M. Pottier, substitut de M. le Procureur de la République, en date du 14 novembre 1896, tendant à une ordonnance de non-lieu à suivre ;

Attendu que les inculpations ne sont pas suffisamment établies,

Vu l’article [128] du Code d’instruction criminelle, déclaraons n’avoir lieu à poursuivre.

Fait en notre cabinet, au Palais de Justice à Paris, le 17 novembre mille huit cent quatre-vingt-seize.

Henri Meyer

[10]A expédier

20 novembre 1896

Expédié le 23 novembre 1896

Monsieur le Procureur Général,

Pour faire suite à ma dépêche du 14 septembre dernier, par laquelle je vous rendais compte de l’état de l’information ouverte sur charges nouvelles, à la date du 9 septembre contre le nommé Clarenson, à raison des attentats anarchistes commis à Paris, les 20 février 1894 par un nommé Rabardy, dans deux chambres d’hôtes meublés, 69 rue Saint Jacques et 49 rue du faubourg Saint Martin, j’ai l’honneur de vous faire connaître que cette procédure a été clôturée par une ordonnance de non-lieu rendue le 12 novembre courant par Monsieur le juge d’juge d’instruction Meyer.

Dès le début, un certain doute existait sur la véracité des déclarations du nommé Clarenson. En effet, divers détails que Clarenson donnait relativement à ces attentats ne correspondaient pas à la réalité des faits.

M. l’expert Gobert, commis par monsieur le juge d’instruction, constatait en outre qu’il n’y avait pas la moindre analogie entre l’écriture de Clarenson d’une part, et d’autre part celle de l’auteur de deux lettres adressées par le soi-disant Rabardy aux commissaires de police Dresch et [Belouing] – et du bulletin d’entrée à l’hôtel du faubourg Saint Martin écrit par le même soi-disant Rabardy.

C’est sur ces entrefaites que le 12 septembre Clarenson se rétractait devant M. le juge d’instruction de Montpellier et déclaré qu’il s’était [faussement] accusé d’avoir commis les deux attentats. Cet individu qui parait très exalté, a prétendu qu’il avait agi ainsi, afin d’encourir la peine capitale, qu’il désirait se voir appliquer.

Aucune présomption de culpabilité n’existant plus dès lors contre le nommé Clarenson, l’information devait être clôturée.

Ce 20 novembre 1896


[1] [11] A.D. Gironde, 1M488 : dossier Jules Clarenson 1892 – 1903.

[2] [12] A.D. Gironde, 1M488 : dossier Jules Clarenson 1892 – 1903.

[3] [13] A.D. Gironde, 1M488 : dossier Jules Clarenson 1892 – 1903.

[4] [14] A.D. Gironde, 1M488 : dossier Jules Clarenson 1892 – 1903.

[5] [15] A.D. Gironde, 1M488 : dossier Jules Clarenson 1892 – 1903.

[6] [16] Thomas Bernard, Jacob, Tchou, 1970, p.93-94 : La femme à la voilette fit une nouvelle apparition un soir, dans l’arrière-salle de la Brasserie du Midi, à la fin d’une réunion, au moment où l’on allait se séparer. Pâle, les traits tirés, elle vint droit vers eux. Elle s’appelait Rose, ils la connaissaient tous. Elle avait été la compagne de Clarenson, ce copain qui purgeait une peine de 3 ans pour vol à la prison Chaves … Ah oui ! Alexandre l’y avait rencontré. Bernard Thomas situe donc la rencontre entre Jacob et Clarenson à la prison Chaves vers 1897. Or, Jacob s’y trouve d’août à octobre de cette année après quoi il est transféré sur Aix en Provence. Le fait est probable si l’on ne tient pas compte de l’arrestation à Montpellier de Jules Clarenson  le 16 août 1896 et de son transfert en octobre 1897 sur un asile de la région. Dans ce cas, la rencontre devient impossible. Il est probable les deux hommes se soient rencontrés effectivement à Marseille mais pas à la prison Chaves. Quant à la liaison entre Roux et Clarenson, nous ne possédons aucun documents pouvant étayer la thèse du journaliste – romancier au Canard Enchaîné.