- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Paul est mort

[1]Nous avons rencontré Paul Bourdonneau deux ou trois fois et jamais simplicité, discrétion et humilité ne nous furent apparues avec autant d’acuité. Une force tranquille, paisible, un de ces rocs que l’on croyait indestructibles. L’homme était bon, doux, généreux. Sans lui, point d’Ecrits de l’honnête cambrioleur. C’est avec une profonde émotion que Jean-François, qui dresse ici son portrait, nous a appris son décès survenu le 24 janvier dernier. Salut camarade. Nous, on va aller chialer dans notre coin et garder ton souvenir.

Paul Bourdonneau est mort.

Quoi ? Qui  ça ?

Eh ! oui, le public connaît généralement l’auteur et le titre d’un livre, mais plus rarement le correcteur ou le « moine-copiste ».

Paul Bourdonneau était cet ami de Robert Passas (relisez vos fiches), qui en retraite à Romans dans les années quatre-vingt, a, pour le plaisir, dactylographié toutes les correspondances entre Marius Alexandre Jacob et sa mère, depuis le bagne de Cayenne. Un travail de titan, écriront en 1996 les éditions de l’Insomniaque,  dans l’ouvrage en deux volumes (690 pages, deux CD inclus) : « Marius Jacob. écrits », qui reprend outre ces lettres, d’autres correspondances avec des amis, des journalistes, des hommes politiques et même de justice, des militants. (toutes ces correspondances ont été remises depuis au C.I.R.A. de Marseille. Centre International de Recherches sur l’Anarchie)

Mal calligraphiées, souvent illisibles, Paul de nature insomniaque (y’a pas de hasard crénom !) leur a offert ses nuits pour qu’elles redeviennent lisibles et surtout accessibles à tous.

Il va sans dire que ses disquettes ont été accueillies avec joie par les copains de l’Insomniaque.

Paul n’en tirait aucune gloire, tout juste s’il ne s’en excusait pas.

Dans un autre domaine, son humilité est identique. S’il évoquait souvent ses souvenirs du  S.C.I. (Service Civil International), jamais il n’a fait état devant nous de ses responsabilités dans ce formidable élan de solidarité qui, dans les années soixante, permit la réalisation de beaucoup de projets, ainsi que de mesures de sauvetage lors de cataclysmes comme à Ceillac en 1957.

[2]Il a fallu que ce soit une ancienne bénévole du S.C.I. (Josette Duc pour ne rien vous cacher) qui nous apprenne que c’est lui, Paul, qui avait créé le groupe de Romans. Lors d’une randonnée cyclotouristique dans les Alpes, il avait été émerveillé par le travail réalisé par une équipe du S.C.I. dans une colonie de vacances. Entouré d’un groupe d’amis, de plus en plus étoffé, il a pu réhabiliter bon nombre de taudis, dans la vieille ville de Romans, logements le plus souvent habités par des travailleurs immigrés. Le groupe de Romans devint même un des plus actifs du pays.

C’était  ça, Paul Bourdonneau, l’efficacité dans la discrétion.

Il était aussi Citoyen du Monde, et espérantiste depuis 1952.

Amoureux de sa solitude, mais entouré d’amis, il avait été un des premiers à se lancer dans l’aventure informatique avec des calculatrices de plus en plus puissantes, puis les  premiers PC domestiques. Il dévorait les encyclopédies, y compris en anglais et en allemand. A ce propos, il avait été requis en 1943, pour aller travailler en Allemagne dans le cadre  du S.T.O. Il nous disait avoir visité Berlin dans tous les sens, bien profité des musées et autres lieux de culture. Parce qu’il avait la chance d’être tombé dans une usine où l’on ne devait guère avoir besoin de lui. Mais dès qu’il a pu bénéficier d’une permission, il s’est caché chez ses parents à Blois, et pour meubler ses jours, il décida d’apprendre l’anglais. Comme quoi… !

En 1945, il a dû endosser, pour quelques mois, l’uniforme avec les gars de sa classe.  Affecté  dans les blindés à Saumur, il était caché dans un cagibi, derrière  le bureau du colonel, d’où il ne sortait que sur ordres, pour aller faire des courses en ville sur un vélo. Le plus amusant, c’est que dans ce cagibi, il avait trouvé un livre de Félicien Challaye : « Philosophie scientifique et philosophie morale »  qui l’a passionné, et qui peut-être a semé en lui les graines du pacifisme intégral ?

Paul était aussi libre-penseur, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un ami curé (renvoyeur de livret militaire lors de l’affaire du Larzac)  et de voisiner  avec des bonnes sœurs.

Il avait commencé par des petits boulots dans la restauration. Son premier emploi ? Ouvreur d’huître, à Blois, à 12  ans. Ça ne s’invente pas.

C’est pour travailler dans la chaussure qu’il est venu s’installer à Romans en 1949 . Il s’est impliqué dans la vie de la Maison des Jeunes, y a rencontré Robert Passas avec lequel il a fait de sacrées randonnées à vélo dans les Alpes.

Avec l’âge, les randonnées se sont raccourcies, le vélo a dû faire un heureux (Il donnait tout), et il a beaucoup marché, de moins en moins pour finir par ne plus sortir du tout, tout en randonnant autour de sa table de cuisine. Grâce à un logiciel de synthèse vocale, il continuait à utiliser son ordinateur, malgré une vision presque nulle. Il faisait des découvertes sur internet, très souvent musicales car il était mélomane.

[3]A l’hôpital où sa gentillesse et sa patience faisaient le bonheur du personnel soignant, il s’astreignait à faire des exercices d’assouplissement de la nuque, nous expliquant qu’il faisait le travail d’un kiné. Sa seule distraction n’était plus que son petit poste réglé sur France Musique, et son lecteur de CD.

Son voisin de chambrée, parce qu’après avoir cotisé pendant toute une carrière de salarié, on n’a pas forcément accès à une chambre seul, hurlait des prières dès qu’il était au lit, ce qui l’agaçait, mais il ne le manifestait que par l’ironie : « Je plie ma serviette, ainsi soit-il. » « J’allume mon poste, ainsi soit-il . ». Jusqu’à la fin, il a refusé de participer aux entreprises infantilisantes comme la sortie à la foire expo, l’admiration du sapin de Noël, ou l’assistance au spectacle avec « Petit papa noël » au micro.

Il est parti comme il a vécu, le plus discrètement possible, pour ne pas déranger les gens comme chantait Brassens qu’il aimait.

Il venait d’avoir 94 ans.

Une chose est certaine, c’est qu’on ne lui connaît aucun ennemi.

J.-F. Amary.