- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Dans les soirées familiales anarchistes

[1]Gaetano Manfredonia

Libres ! Toujours …

Atelier de Création Libertaire, Lyon, 2011

NDJ : les chansons citées par l’auteur seront mises en ligne en janvier 2015 dans le cadre du mois de la chanson du Jacoblog. Le chapitre 5 de cet excellent livre permet de saisir les acquis culturel d’Alexandre Jacob lorsqu’à Marseille ou ailleurs il fréquentait les cercles anarchistes.

Chapitre 5, p.67-69

Ce que chantaient les compagnons dans leurs soirées familiales

La portée propagandiste que les compagnons attribuent à leurs compositions ne saurait faire oublier pour autant leur dimension ludique. Si l’on chante dans la rue à l’occasion d’une grève ou lors d’une manifestation, c’est d’abord dans le cadre beaucoup plus intimiste des soirées familiales, bals, tombolas ou commémorations diverses que les anarchistes proposaient très fréquemment, que la chanson était reine.

Organisées par les soins d’un groupe anarchiste local, ces soirées comportaient toujours deux parties : la première réservée à une causerie donnée par un compagnon sur un sujet d’actualité ; la seconde consacrée aux divertissements, au cours de laquelle les assistants entonnaient leurs chansons préférées, récitaient des poésies et des monologues ou portaient à la connaissance du public militant les dernières compositions révolutionnaires à la mode. Ces soirées étaient, avant tout, des occasions de se distraire. Elles réunissaient en général un nombre restreint de personnes, des militants et des sympathisants, mais également leurs familles.

Contrairement aux autres activités militantes, elles comportaient de ce fait une présence féminine beaucoup plus importante, ce qui permettait aux « compagnes », une fois n’est pas coutume, de participer sur un pied d’égalité aux activités publiques des « compagnons ». Cette dimension festive n’empêchait pas pour autant la police de surveiller attentivement tout ce qui pouvait s’y dire ou s’y faire afin de veiller à ce que l’ordre public ne soit pas perturbé. C’est ainsi que le « mouchard » de service ne manquait jamais de mentionner consciencieusement, dans son rapport, le titre des chansons que les présents avaient entonné, ce qui nous permet aujourd’hui de connaître avec une certaine précision quels étaient les goûts des militants de l’époque en matière chansonnière.

Parmi les autres sources à disposition de l’historien pour établir la représentativité d’une chanson, il faut également mentionner le nombre de publications dans des journaux ou de tirages à part sur feuille volante ou en recueil dont elle a fait l’objet. Les chansons et poésies que nous reproduisons dans ce chapitre appartiennent toutes à cette catégorie et ont été régulièrement signalées par les services de police comme ayant été effectivement chantées et interprétées par les militants au cours des années 1885-1894.

On retrouve tout d’abord une chanson socialiste des années 1880, la Marianne d’Olivier Souêtre (1831-1896), qui va incarner, un instant, aux yeux des libertaires, une nouvelle forme de radicalité du combat social. Son succès, toutefois, ne sera pas durable et les compagnons lui préfèreront bientôt des compositions aux accents explicitement anarchistes[1] [2] comme Peuple Debout !, À bas la politique et l’Or, des textes d’auteurs restés anonymes, publiés par différents groupes anarchistes de la capitale dès 1886. À cette série de publications éditées sur feuilles volantes viendront s’ajouter, toujours en 1886, les éditions du journal anarchiste la Révolte des affamés de Calais dont la Carmagnole sociale, une adaptation libertaire de la célèbre chanson de la Révolution française que les compagnons reproduiront par la suite en de multiples occasions. Tel est le cas également de la poésie d’Auguste Percheron, Iconoclasie (connue aussi sous le titre les Briseurs d’images), publiée sans nom d’auteur dans le recueil du journal parisien l’Avant-garde cosmopolite : Chants et poésies révolutionnaires, en 1887[2] [3].

À ces compositions, nous avons ajouté deux chansons dont l’auteur est le garçon de café François Brunel, Faut plus d’gouvernement et Y’a rien d’changé, ainsi que la célèbre le Père Peinard au populo. Publiée sans nom d’auteur (mais probablement de Brunel lui-même), cette dernière fait partie d’une série de 32 chansons et poésies que Brunel fera paraître entre 1889 et 1893. Celles-ci étaient vendues « à cinq centimes », sans musique, et « à dix centimes », avec musique. Éditeur peu scrupuleux, Brunel publia plusieurs textes connus sans indiquer leur origine et, comme dans le cas de l’Internationale de Pottier, en modifiant l’original sans le signaler. La série des chansons de Brunel ne constitue pas moins l’effort le plus important en vue de doter le mouvement anarchiste français d’avant 1894 d’un répertoire chansonnier à lui. Les compositions publiées dans cette série sont, en tout cas, tout à fait représentatives de l’anarchisme de l’époque. On y trouve ainsi, à côté des textes de militants anarchistes restés anonymes, ceux prônant l’action directe contre les exploiteurs, d’auteurs aussi connus que de Gérault-Richard (1860-1911) avec la Bataille[3] [4] ou de Jean Richepin avec les Jacques[4] [5].

Nous reproduisons, enfin, la poésie que le chansonnier stéphanois Jean-François Gonon écrivit en 1890 en l’honneur de Louise Michel, la Vierge des opprimés. Cette poésie, reproduite à plusieurs reprises au sein du mouvement libertaire, n’est pas la seule à avoir été dédiée à la « vierge rouge ». Parmi celles-ci, signalons Marianne, une poésie qui faisait de Louise Michel le nouveau symbole de l’émancipation sociale, destiné à remplacer l’ancienne Marianne accaparée par la bourgeoisie[5] [6].

[1]liste des chansons du chapitre 5 :

– La Marianne

– Peuple debout !

– L’Or poésie révolutionnaire

– A bas la politique !!!… chanson révolutionnaire

– La Carmagnole sociale

– Iconoclasie

– Le Père Peinard au populo

– Faut plus d’gouvernement

– Y a rien d’changé

– La bataille

– Les Jacques

– Germinal

– La vierge des opprimés


[1] [7] Parmi les chansons de Souêtre prisées par les anarchistes il faut mentionner également le Chant d’un soldat : marche militaire, musique de Mme Souêtre, [Paris], 1886.

[2] [8] Ce recueil, le premier du genre publié en France, comportait les textes suivants : Germinal de P. Batail et G. Baillet, Logements insalubres de Pottier, Famille, Profession de foi et le Compagnon Cupidon de P. Paillette, Aux Pauvres, la Marianne d’O. Souêtre, le Drapeau rouge de P. Brousse, la Bataille de Gérault-Richard, J’n’aime pas les sergots d’Eugène Lemercier, le Père Duchesne, la Cosmopolitaine de Jacques Prolo. Aucun de ces textes ne portait de mention d’auteur.

[3] [9] Cette chanson fut publiée la première fois dans le journal la Bataille en 1885 et fut mise en musique par Marcel Legay (cf. R. Brécy, Florilègede la chanson révolutionnaire, Les Editins Ouvrières, 1990, p. 126).

[4] [10] Cette poésie avait été publiée en 1884 dans les Blasphèmes.

[5] [11] Jean de l’Ours, Marianne. Dédié à Louise Michel par un soldat obscur de l’armée révolutionnaire, [Paris ?], 1886, [8 p.].