- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

La purée était trop molle

[1]A l’Ouest, rien de nouveau et, l’été, loin de la mer, c’est encore pire. Ciel lourd, atmosphère chargé. La Champagne pouilleuse a des allures de désert des Tartares en pays berrichon. Le colonel scrute l’horizon. Pas un nuage de poussière. Pas une voiture non immatriculée 36. Pas un touriste. La sonnette de la porte d’entrée de l’office du tourisme de Reuilly n’a toujours pas retenti depuis l’ouverture matinale … et c’est l’heure de l’apéro ! Alors, pour faire venir le chaland qui passe et qui devrait s’arrêter, on a sorti la grosse purée et les deux litres de rosé qui dormaient sur la paneterie de la gloire locale qui s’est donné la mort à Bois Saint Denis il y  a cinquante-neuf ans de cela. Il menait dans le village une seconde vie bien tranquille. Il n’y avait, selon le guide, plus rien de révolutionnaire chez lui si ce n’est ce passage sur le trottoir, pour éviter la gendarmerie du coin juste en face ! On a sorti la grosse purée et l’allusion au papier d’Alexis Danan paru dans Franc-Tireur le 03 août 1954 pour l’anniversaire du « dernier jour d’un justicier »[1] [2]. Mais, selon Nicolas Zajac, qui assista au repas offert par le vieil anarchiste, comme une cène avant son suicide, aux enfants du hameau reuillois, et qui témoigne en deuxième partie dans la Nouvelle République en date  28 août 2013, la purée était trop molle. La lupinose est, elle, toujours aussi peu digeste et si peu consistante.

[3]Nouvelle République

Le dernier jour d’un justicier

28/08/2013

Marius Jacob s’est installé à Reuilly en 1939 après vingt ans de bagne en Guyane. Très discret, il parcourait les marchés des communes voisines avec son étal de bonneterie.

Alexandre Marius Jacob, anarchiste qui aurait inspiré Maurice Leblanc pour la création de son personnage Arsène Lupin, a choisi de finir ses jours à Reuilly.

Aujourd’hui, cela fait exactement cinquante-neuf ans qu’il s’est donné la mort. Doucement mais sûrement : grâce à une simple injection de morphine. L’anarchiste Alexandre Marius Jacob, qui aurait inspiré Maurice Leblanc pour la création de son personnage Arsène Lupin, avait choisi Reuilly, « ce pays où il ne se passe jamais rien », selon lui, pour finir ses jours.

«  Deux litres de rosé  »

« Tout avait été prémédité, explique Claude Nerrand, responsable de l’office de tourisme de la commune et créateur du Musée Marius-Jacob. Pour sa dernière journée, le 28 août 1954, il a invité les enfants les plus pauvres du village à déjeuner, leur a offert une balade dans sa vieille 6 CV Renault, puis est retourné dans sa maison du Bois-Saint-Denis. Là, il s’est piqué avec son chien Negro qui, lui, en réchappa. » À côté de lui, une lettre d’adieu teintée d’humour, dont la fin est en passe de devenir légendaire : « Linge lessivé, rincé, séché, pas repassé, j’ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé ! » Jolie façon d’en finir avec sa vie pour cet anarchiste révolutionnaire qui voulait mourir libre et conscient.
Né à Marseille en 1879, ce fils de navigateur devenu mousse à l’âge de 11 ans, dévore le journal anarchiste de Marseille, L’Agitateur, à 16 ans, et propose à ses compagnons Roques et Morel, à 18 ans, la création d’une bande disciplinée afin d’« atteindre la classe possédante à son point sensible : le coffre-fort ».
De là naît sa carrière d’anarchiste qui le mènera plus tard à fonder la brigade des « Travailleurs de la nuit ». Ceux-ci dépossèdent les riches pour redistribuer aux pauvres. « Changeant d’identité, l’équipe va opérer dans les églises ou cathédrales du Mans, de Tours, chez les bourgeois ou chez les juges. » Juges que Marius Jacob défiera largement lors de son procès à Amiens en 1905, à l’issue duquel il se verra condamné aux travaux forcés à perpétuité en Guyane. Il sera finalement relâché vingt ans après, rachètera un étal de bonneterie et décidera de s’installer dans l’Yonne puis à Reuilly, en 1939. Commence alors une deuxième vie, bien plus tranquille, pour le justicier. « Le retour à la réalité fut difficile pour lui, remarque Claude Nerrand. Il ne se retrouvait pas dans l’anarchie moderne. » À Reuilly, il passe presque inaperçu. Seul acte révolutionnaire : il ne marche jamais sur le trottoir de la gendarmerie, mais préfère celui d’en face. Et saluait les enfants, chose rare à l’époque. Il était aussi généreux, comme le rappelle un habitant croisé devant sa maison : « Il a beaucoup donné aux pauvres de l’époque. Qui sont devenus les riches d’aujourd’hui… »

Musée Marius-Jacob, à l’office de tourisme de Reuilly, 5, rue Rabelais, tél. 02.54.49.24.94, www.ot-reuilly.fr Visite libre et gratuite.

Isabelle Demangeat

[4] » Limonade et purée coulante  »

28/08/2013

(Légende de la photographie :Nicolas Zajac avait 11 ans quand il a été invité à déjeuner par Marius Jacob.)

Nicolas Zajac était présent lors du dernier repas de Marius Jacob, le 28 août 1954. « J’avais 11 ans à l’époque. Notre voisin, Alexandre Marius Jacob, est venu dans ma maison pour nous proposer à ma sœur et à moi, de venir déjeuner chez lui. Nous ne le connaissions pas beaucoup mais nos parents ont accepté. »

«  Nous chahutions beaucoup  »

« Chez lui, on a retrouvé des enfants qui étaient des voisins. La table était bien mise, il y avait une jolie nappe. Il avait préparé de la purée très molle, presque coulante, et du boudin qu’il servait avec de la limonade. C’était comme un repas de fête pour nous qui n’appartenions pas à des classes aisées. Nous chahutions beaucoup entre nous. Puis, il nous a proposé de faire un tour du village avec sa vieille voiture. À chaque fois qu’il passait devant la maison de l’un d’entre nous, il klaxonnait. C’était une belle journée.
Quand j’ai appris la nouvelle le lendemain matin par la dame du café restaurant, j’ai d’abord été très surpris. Et quand elle m’a dit : «  Vous avez eu de la chance qu’il ne vous ait pas empoisonnés vous non plus  », cela m’a fait peur. Je n’y avais pas pensé. »

Propos recueillis par I.D


[1] [5] L’article d’Alexis Danan s’intitulait Le crépuscule d’un justicier.