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Antoine par Laurent

[1]Gavroche, n°166, avril-juin 2011

Laurent Gallet

INJUSTICE POLITIQUE

Antoine Cyvoct, premier martyr de l’anarchie

Une décennie avant les comparses de Ravachol, avant Léauthier et Meunier, le Lyonnais Antoine Cyvoct fut envoyé au bagne à l’occasion de la première affaire retentissante de propagande par le fait en France. Sa vie est celle de son combat pour faire reconnaître son innocence. Antoine Cyvoct est inconnu des autorités avant la date du 7 août 1882, où il est désigné nouveau gérant du journal anar­chiste L’Etendard révolutionnaire lors d’une réunion générale des groupes de la fédération révolutionnaire lyonnaise. Il garde la gérance du journal le temps de cinq numéros parus entre le 13 août et le 10 septembre 1882 et prend la parole lors de cinq réunions jusqu’au 4 octobre. Trois jours après, il est interrogé par le juge d’instruc­tion Rigot, sur l’inculpation d’avoir « directement provoqué à commettre les crimes de meurtre, de pillage et d’incendie sans que cette provocation ait été suivie d’effets ».

L’accusation, qui a déjà été utilisée les mois précédents avec succès contre les anarchistes Dejoux d’une part, puis Bonthoux et Crestin d’autre part, repose sur un discours prononcé par Antoine lors d’une réunion tenue à la Croix-rousse le 16 août 1882. Se voyant menacé d’une poursuite, Cyvoct décide de ne pas attendre un procès qui pourrait pourtant lui servir de tribune publique et quitte la France.

Ce fai­sant, il met également en pratique cette grève des conscrits qu’il a préconisée en réunion publique. Le 10 octobre 1882, il écrit à ses parents une lettre postée depuis Genève, puis le lendemain, gagne Lausanne où, sous un nom d’emprunt, il loge chez les époux Hermenjat, une adresse que lui a sans doute fournie Dejoux suite à son propre exil dans cette ville. Il séjourne chez les Hermenjat depuis environ 10 jours lorsqu’un double attentat secoue Lyon et sa population.

En effet, le lundi 23 octobre, à plus de 23 heures d’intervalle, deux bombes agitent les nuits lyonnaises. C’est d’abord, entre minuit trente et une heure moins le quart, le café-restaurant L’Assommoir, situé dans le sous-sol du théâtre Bellecour qui voit l’un de ses employés Louis Miodre être la victime d’une explosion qui blesse en outre plusieurs personnes. C’est ensuite, à 23 heures 45 la caserne de recru­tement militaire de la vitriolerie qui subit des dégâts matériels assez peu importants.

Gustave Chenier, le seul témoin pouvant dresser le portrait d’un suspect compatible avec la phy­sionomie de Cyvoct dans ce second attentat ne se déclare que le 2 mai 1883 et malgré ce laps de temps, n’hésite pas à donner un signalement si précis qu’il correspond à celui de Cyvoct jusque dans la taille estimée du suspect que Chenier peut encore situer, plus de sept mois après l’attentat, dans un intervalle de 2 centimètres.

En revanche, pour l’attentat de L’Assommoir, divers témoignages rapportent que deux hommes et une femme ont quitté les lieux quelques secondes avant l’explosion. La description du pseudo-Cyvoct faite par le garçon de café Flot, détaché au service du box n° 2 d’où est partie l’explosion mène à une première arrestation. En effet, un « détail caractéristique » remarqué par Flot et d’autres témoins, un pince-nez à verres bleus que portait l’un des deux hommes, conduit la police lyonnaise à arrêter, le 25 octobre, un anarchiste caladois, Antoine Desgranges. Celui-ci s’est fait remarquer le 21 octobre dans une réunion à Villefranche au cours de laquelle il a invectivé les bourgeois de L’Assommoir pros­tituant les filles du peuple. Desgranges confronté et innocenté, le commissaire spécial annonce au procureur de la République que Cyvoct, introu­vable depuis le 9 octobre dernier, est revenu à Lyon le 23 pour repartir le 24 et qu’il était por­teur d’un lorgnon à verres bleus.

Au procès de Cyvoct, les 11 et 12 décembre 1883, le commis­saire spécial Perraudin se retranchera derrière un inexistant secret profes­sionnel afin de ne pas révéler ses sources d’informations. Il n’a pas oublié qu’en ce début d’année 1883, lors du procès des 66 anarchistes, mis à mal par trois avocats qui lui demandent de venir citer ses sources d’informations, Perraudin a été sauvé par le procureur qui éluda la question en faisant valoir le secret professionnel du commissaire. Il faut dire que l’origine des renseignements que fournit Perraudin à la justice provient d’individus infiltrés et payés sur le bud­get du commissariat spécial. Le rôle de l’un de ces indi­cateurs est publiquement dénoncé lors du procès des 66 et Cyvoct le dénonce encore une fois lors de son procès pour le double attentat, comme étant à l’origine de la machination.

Le 10 juillet 1882, ce personnage, Aristide Valadier, écrit une lettre au préfet du Rhône dans laquelle il demande une aide sous forme d’argent en échange de rensei­gnements qu’il pourrait lui fournir car, dit-il, « les circonstances ont fait de moi l’un des principaux rédacteurs d’une feuille hebdomadaire qui ne vous est point inconnue : Le Droit social, organe anarchiste révolutionnaire3 ». C’est dans ce journal, ancêtre de L’Étendard révolutionnaire, qu’avait paru, le 12 mars précédent, un article incendiaire intitulé « Un bouge » qui incitait à « détruire les repaires de bourgeois » tel que L’Assommoir. Cyvoct, dans L’Hydre anarchiste, à partir du 9 mars 1884. puis dans L’Alarme qui lui succéda, accuse Valadier d’être l’auteur de l’article. Plus tard. Bordât, l’un des condamnés du procès des 66, l’innocente de ce grief: « L’auteur de cet article était Damians fils, demeurant rue Tolozan à Lyon, qui fut plus tard compromis dans le fameux procès de l’Inter­nationale et qui, grâce à sa lâcheté, ne fut condamné qu’à six mois4… ». Un autre des condamnés, Joseph Bonthoux, affirme dans une lettre du 5 novembre 1897 publiée dans L’Aurore du 2 janvier 1898 que l’auteur des quelques lignes était « un nommé D…, tisseur, alors apprenti dans l’imprime­rie où se publiait Le Droit social » et affirme l’innocence de Cyvoct tant au sujet de l’article incri­miné que de l’attentat. Enfin Damians lui-même, dans une lettre datée du 31 octobre 1902 confirme en tout point ce qu’affirmait Cyvoct en 1884: «…je reconnais être le signataire […] l’auteur véritable est ce Monsieur Valadier, qui joua un si vilain rôle dans toute cette affaire » ».

Toutefois, cet indicateur n’est pas seul à avoir forgé la présomption de culpabilité de Cyvoct. En effet, au cours de l’instruction de son procès, Cyvoct entre en conflit avec le juge Cuaz. Le 25 juillet 1883 il lui adresse une lettre dans laquelle il lui reproche sa partialité et sa conduite des auditions des témoins. Il l’accuse de chercher à orienter les réponses de quatre témoins pour les faire conclure à la ressemblance entre Cyvoct et l’individu de L’Assommoir, mais aussi d’avoir laissé Flot com­muniquer avec les autres témoins. Dans l’immé­diat, afin de contrer les accusations de Cyvoct, le juge d’instruction Rigot, qui remplace Cuaz pen­dant ses vacances, interroge à nouveau les quatre témoins et manœuvre habilement en leur deman­dant s’ils reconnaissent avoir subi une « pression quelconque » » lors des confrontations. En leur demandant donc s’ils admettent que l’on puisse se jouer si facilement de leur libre arbitre, Rigot obtient les réponses négatives qu’il peut espérer – le patron de L’Assommoir, par exemple, estime nécessaire de répéter par trois fois qu’il n’est « pas homme à [s]e laisser influencer par qui que ce soit ».

Cyvoct est donc condamné à un mois de prison pour outrage à magistrat. Ce conflit avec Cuaz conduit ce dernier à se décharger de l’affaire au profit d’un autre de ses collègues, le juge Vial. Celui-ci va réussir à retourner trois témoins dans le sens de l’accusation. Une voisine de Cyvoct qui, auditionnée par Cuaz, innocentait l’anarchiste, jette maintenant sur lui une lourde suspicion. Un autre qui, devant Cuaz, se montrait bien timoré dans son accusation devient empli de certitudes. Et puis un gendarme qui donnait un calendrier des événements ne coïncidant pas avec la version officielle le rectifie pour qu’il soit conforme.

Il n’est pas jusqu’aux jurés dont les magistrats ne se soient joués. Interrogé sur la culpabilité d’assassinat, le jury répond par la négative. Sur la complicité, il ne répond par l’affirmative qu’à la question d’avoir « par machinations ou arti­fices coupables, provoqué à ce meurtre, ou d’avoir donné des instructions pour le commettre». Dès le lendemain du verdict, les autorités admi­nistratives et judiciaires forgent le mythe de la clairvoyance des jurés qui, d’après le Procureur Général de Lyon Fabreguettes, lui aurait permis de faire preuve « d’une grande fermeté et d’un véritable discernement. Ils ont statué en connais­sance de cause, sachant que la condamnation à mort devait être le résultat du refus des circons­tances atténuantes. Ils comprenaient la nécessité d’un exemple » et que « sa réponse négative sur la question principale a permis de soutenir que Cyvoct n’était pas l’auteur direct, bien que, d’après mes renseignements le jury fût convaincu de sa participation ».

Or, ce n’est pas là l’opi­nion de l’un de ces jurés qui, interrogé presque 14 années plus tard révèle les dessous de la prise de décision collective. A la question de la culpabi­lité par « machinations ou artifices coupables », ce juré reconnaît qu’il pensait que cette demande visait l’article de journal « Un bouge » et qu’il s’agissait donc d’une provocation par la presse suivie d’effet. La peine de mort prononcée pour un délit de presse stupéfie tant les jurés que onze sur douze s’empressent de signer un recours en grâce pour Cyvoct. Le seul juré qui avait bien compris où les emmenèrent les magistrats, et qui s’abstint de signer le recours, était avocat.

[2]Des procès comme s’il en pleuvait

Entre le double attentat du 23 octobre 1882 et son procès le 11 et 12 décembre 1883, Cyvoct vit quelque temps en Suisse où il ne trouve pas de travail et part pour la Belgique où sa situation ne s’améliore guère. Il se trouve à Verviers le 6 décembre 1882 lorsqu’il est condamné, par défaut, avec Bonthoux, à 2 ans de prison et 3000 francs d’amende pour les discours tenus le 16 août précédent. Puis, on l’implique dans le procès dit des 66 qui s’ouvre à Lyon le 8 jan­vier 1883.

Si la justice ne peut formellement accuser les anarchistes d’être impliqués à la fois dans les explosions de Lyon et dans les troubles de Montceau-les-Mines, le point de départ de l’information résulte d’un attentat à la dyna­mite, commis dans la nuit du 12 au 13 octobre 1882 contre la maison d’un industriel de Saint-Vallier, intervenu le lendemain de l’affichage de placards anarchistes envoyés par Bordât. Selon l’importance des charges retenues contre eux, les prévenus avaient été classés en deux catégo­ries. Cyvoct, prévenu de la seconde catégorie, fut condamné par défaut à cinq ans de prison, 2000 F d’amende et cinq ans d’interdiction des droits civils.

Il réside alors à Bruxelles et ne trouvant toujours pas de travail, s’inscrit alors au cours de chimie de l’école industrielle de Bruxelles avec son ami Paul Métayer. Le 23 février 1883, ils essaient de reproduire les cours dispensés à l’école. L’expérience tourne mal car, alors qu’ils gagnent la campagne environnant Bruxelles, un engin explose dans la poche de Métayer en lui causant des blessures fatales. Au cours de son interroga­toire, qu’il refuse de signer, Cyvoct affirme qu’il enseignait à Métayer comment « faire des feux d’artifices en attendant de faire des bombes ».

Poursuivi le 28 février pour usage de faux nom et fabrication d’armes prohibées, son affaire est le prélude à une série d’arrestation d’anarchistes étrangers installés en Belgique. Ce complot nihi­liste se réduit toutefois à peau de chagrin puisque seules sont prononcées des peines pour usage de fausses identités et de faux en écriture. Le parquet de Bruxelles abandonne également au bénéfice de Cyvoct la prévention de fabrication d’armes prohibées. Le 30 mai 1883. il passe en audience devant le Tribunal de Première Instance qui le condamne à deux peines de 8 jours de prison et 26 francs d’amende pour port public de faux nom, une peine d’un mois de prison et 50 francs d’amende pour usage d’un faux passeport et une peine de trois mois de prison et 26 francs d’amende pour complicité de faux en écriture.

Au bagne

Extradé puis condamné à mort dans l’affaire de L’Assommoir, l’anarchiste lyonnais voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité le 22 février 1884. Le 8 mars 1884, il est transféré à Saint-Martin-de-Ré où il arrive deux jours plus tard et d’où il part pour le bagne de Nouvelle- Calédonie le 6 juin suivant. Il arrive dans la colonie pénitentiaire le 2 octobre 1884. Le 29 mars 1887, il voit arriver à « La Nouvelle » Charles Gallo, un coreligionnaire politique condamné à 20 ans de bagne pour avoir jeté une bouteille d’acide prussique et tiré trois coups de feu à l’intérieur de la Bourse de Paris. Par la suite, les anarchistes seront envoyés en Guyane. Le 13 juillet 1889, sa peine est une nouvelle fois commuée en quinze années de travaux forcés. La mesure ne prenant effet qu’à partir de la promulga­tion du décret, Cyvoct devient libérable en 1904, soit au bout de 20 années de bagne.

Le 14 janvier 1891, il écope de 30 nuits de prison pour réclamation non-fondée à propos des vivres et insolence envers les méde­cins. Cyvoct se croyait atteint de scorbut et se plaignait de défaut de soins. Dans le même temps, il écrit au directeur de l’admi­nistration pénitentiaire, Armand de la Loyère, pour se plaindre de la nourriture, lui affirmant que tout ce qu’il trouve de légume chaque jour dans sa gamelle « pourrait facilement tenir dans un dé à coudre ». Il réitère ses accusations de défaut de soins contre les médecins du bagne le 23 avril suivant et reçoit la même punition.

Fin 1893, à la suite de l’attentat de Vaillant à la chambre des députés, il écrit à ses parents sa déception de voir une nouvelle demande d’amnistie enterrée par cet « attentat stupide- ». Il forge aussi la résolution d’adopter une position critique face à une propagande qu’il croit « seulement propre à conduire les meilleurs révolutionnaires au bagne et à l’échafaud ». Il réussit à faire parvenir aux journaux français deux lettres publiées le 21 mars 1894. Dans la première, alors que les attentats anarchistes se multiplient en France, Cyvoct écrit aux compagnons pour réprouver de tels actes tout en décla­rant demeurer fidèle aux principes libertaires. Il s’adresse dans le même temps à la présidence de la République, dédaignant par avance une éventuelle récompense pour sa répudiation de la propagande par le fait (cf. La Petite République, 21 mars 1894).

En fait de récompense, il se voit privé du poste de bibliothécaire qu’il occupait au bagne et placé aux corvées générales. Et le 6 juin, il est de nouveau puni pour avoir refusé la corvée et correspondu sans passer par la voie administra­tive. Il est condamné à un mois de cellule et à la rétrogradation à la deuxième classe.

En décembre 1895, Sébastien Faure, à travers Le Libertaire relance une campagne pour la libération de Cyvoct. Son appel est largement entendu par des intellectuels comme Séverine, Arthur Ranc, Georges Clemenceau, Camille Pelletan et d’autres aussi éloignés de l’anarchisme que peuvent l’être Paul de Cassagnac ou Henri Rochefort qui n’a cessé de s’intéresser au cas de Cyvoct. En vain.

En mai 1897 s’organise un mouvement visant à présenter une candidature amnistiante pour Cyvoct à l’occasion des prochaines élections législatives qui doivent avoir lieu l’année suivante. Le bagnard sera porté dans le treizième arrondissement de Paris, 2e circons­cription, face au député en poste Paulin-Méry. La campagne intéresse le journaliste Henry Leyret, de la toute nouvelle Aurore. Il écrit quatre articles entre octobre 1897 et la grâce obtenue le 3 janvier 1898.

Ce même jour, Paulin-Méry adresse un courrier au ministre de la Justice dans lequel il lui demande d’examiner avec bienveillance le dossier du forçat. Le 22 janvier, Antoine Cyvoct embarque à bord du Tanaïs à destination de Sydney où il prend place à bord de l’Armand- Béhic en partance pour Marseille. Le 28 février, il arrive en rade de Marseille où il est attendu par son père et par quelques anarchistes dont Sébastien Faure et Matha. Avant de prendre le train pour regagner Lyon, il apprend le décès de son frère – qui s’est beaucoup impliqué dans les campagnes pour sa libération – et son enterre­ment la veille.

[3]Un militant contre l’injustice

Le 20 mars, il arrive à Paris où il prend la parole dans une réunion sur le thème: la candidature Cyvoct pour l’amnistie des forçats encore au bagne. Paulin-Méry, de la Libre Parole, qui souhaite par­ler, est expulsé sans ménagement de la salle, visi­blement contre la volonté de Cyvoct qui souhaite entendre son contradicteur. Clemenceau, dans L’Aurore, annonce qu’il « vote pour Cyvoct », ce qui n’empêche pas le résultat du suffrage d’être décevant. Sa candidature soulève des protesta­tions dans certains milieux anarchistes bien qu’il ait affirmé qu’elle était uniquement protestataire et destinée à attirer l’attention sur le cas des anar­chistes restés au bagne. Il ne recueille que 862 voix sur 14692 votants face aux 8469 voix recueillies par le député sortant Paulin-Méry et il est même dépassé par les 3404 voix du socialiste Simon Boulet. Notons que le secrétaire du comité élec­toral présentant la candidature Cyvoct se nomme S. Boulet. Nous ignorons s’il y a identité entre les deux personnages. Par la suite, il s’entretient avec Clemenceau afin de créer un parti révolutionnaire antiparlementaire qui présenterait des candidats inéligibles aux élections.

En juin 1898, l’anarchiste se brouille avec Rochefort en refusant une place au sein de L’Intransigeant anti-dreyfusard pour rejoindre l’équipe dreyfusarde de L’Aurore. Il commence alors une campagne en faveur du capitaine, demandant, avec E. Janvion et Ch. Malato, l’union sacrée dans la rue de tous les républicains contre les antisémites (L’Aurore des 16 et 18 août 1899). Toutefois, n’oubliant pas d’où il revient, il écrit encore, en 1900, afin que la République « amnistie Massoubre, Grange, Chevry, Meunier. Bury, tous ces humbles qui, aimant le peuple, ont lutté pour lui, sont tombés pour lui dans la mêlée sociale ».

Depuis le 25 mai 1900, il est initié apprenti à la loge des Rénovateurs de Clichy, où il est rejoint peu après par Paraf-Javal. Il quitte cependant la loge le 23 novembre 1904 après avoir rejoint le 15 du même mois une nouvelle loge fondée le 6: L’idéal Social. Au sein de cette loge, il trouve une nouvelle tribune pour parler des « voies du socialisme », de « la magistrature » ou encore de « l’immoralité du suffrage universel». Le 12 février 1907, Cyvoct est exclu de la loge, et la loge elle-même exclue de l’obédience de la Grande Loge Symbolique Écossaise, à la suite de l’apposition dans Paris et la banlieue d’affiches constituant « une injure grave à la Maçonnerie Universelle ».

Le 31 octobre 1902, l’ancien bagnard reçoit communication de la lettre de Damians, dans laquelle il reconnaît avoir signé l’article « Un bouge » inspiré par Valadier. Depuis lors, il ne cesse d’essayer d’obtenir la révision de son pro­cès. Il dépose un premier dossier dans ce sens en mars 1903 qui se solde par un échec notifié à la fin de l’année. En février 1904, il fait la connaissance de Louis Havet, membre de l’Institut et de la Ligue des Droits de l’Homme. La Ligue lui adresse alors Me Bergougnan pour l’aider dans ses démarches mais Cyvoct et lui ne s’entendent pas sur la marche à suivre: Cyvoct veut la révision en prouvant qu’il n’est pas l’auteur de l’article « Un bouge », Bergougnan estime qu’il y a un vice de forme et espère obtenir l’annulation de l’arrêt.

En août 1905, il écrit à Louis Havet qu’il veut se séparer de son avocat car « pour gagner la cause qui lui est confiée, il faut que l’avocat soit en pleine communion de pensée avec son client ». Il continue néanmoins à travailler avec lui et Cyvoct renouvelle sa demande en révision le 7 janvier 1904, puis le 14 octobre 1905, demandes dont il n’obtient rien. Il introduira une dernière fois ce recours en 1909 sans plus de résultat. A l’occasion des élections législatives du 24 avril 1910, alors que les anarchistes se lancent dans une campagne antiparlementaire de grande envergure, Cyvoct, encore une fois soutenu par Louis Havet, présentera une candidature de pure forme car il est toujours inéligible. Il sera alors porté dans la 2e circonscription du dix-huitième arrondis­sement de Paris et se retrouvera face à l’anarchiste Eugène Martin.

Tentation clemenciste

Attiré depuis longtemps par le théâtre (il essaye de se faire embaucher au théâtre de Genève, de Lausanne, tient un rôle à l’essai à Verviers), il fait partie du groupe théâtral du vingtième arrondis­sement, lequel se produit dans des fêtes en soutien au mouvement anarchiste. Toutefois, à l’arrivée de Clemenceau à la présidence du Conseil, de Clemenceau et du général Picquart au ministère de la Guerre, il écrit à Louis Havet pour lui avouer sa « grande joie » de voir arriver « ces deux hommes [qui] honoreront grandement la France ».

Devenu pauvre camelot, vendant des peignes pour assurer sa survie, en proie aux tracasseries de la maréchaussée, son admiration pour Clemenceau le pousse à prendre parti pour la répression san­glante contre les grévistes du Nord et les vignerons du Midi en 1907, puis contre la grève des postiers en 1909 (lettres à Mme Havet du 8 septembre 1907, lettre à M. Havet du 21 mars 1909). Enfin, le 26 novembre 1910, il écrit, dépité, à son ami de l’Institut, qu’il n’est « nullement ni anarchiste, ni socialiste, – comme il faudrait l’être – […] Il est notoire que chez les socialistes, comme chez les anarchistes, c’est la queue qui dirige la tête ».

Laurent GALLET