- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Juillet 1881 à Londres

explosion [1]45 délégués, représentant 56 fédérations et 46 sections ou groupes non fédérés, se réunissent à Londres du 14 au 20 juillet 1881. Si le but premier du congrès visait à la reconstitution de l’AIT ; les compagnons présents, dont un bon contingent de  français finissent par créditer le principe de la propagande par le fait, l’illégalité étant – selon eux – « la seule voie menant à la Révolution ». Le texte que reproduit Le Révolté, en date du 23 juillet, inaugure pour Jean Maitron  – qui affirme faussement la présence d’Emile Pouget à Londres – l’ère des attentats anarchistes en France. Même s’il ne mentionne pas la jouissance immédiate et individuelle des biens dérobés, il constitue aussi une base théorique pour les adeptes de la pince monseigneur. Nombres de brochures et revues donnent alors les recettes explosives de la marmite à renversement ; des pistolets, des poignards et autres outils de propagande sont offerts dans des tombolas anarchistes ; on chante encore le père Lapurge de Constant Marie ou encore la Dynamite de  Martenot[1] [2]. Mais il faut réellement attendre une dizaine d’années pour que le son de l’explosion se fasse réellement entendre dans l’hexagone.

[3]Le Révolté

Troisième année, n°11

23 juillet 1881

L’apparition de ce numéro a été retardée de huit jours, afin que nos lecteurs aient un aper­çu aussi complet que possible des premières séances du congrès révolutionnaire de Lon­dres.

La date du jour où il devait paraître a été maintenue.

Le Congrès International de Londres

L’union, si longtemps méditée, des socialis­tes-révolutionnaires des deux mondes, s’est enfin accomplie dans le Congrès de Londres.

Il est bien entendu que les délégués des or­ganisations qui se sont fait représenter à Lon­dres, n’ont pas pu prendre de résolutions défi­nitives. Ce sera aux groupes et fédérations eux-mêmes à décider définitivement, si elles acceptent ces résolutions. Mais les décisions des groupes sont à prévoir, d’après les man­dats qu’ils ont donnés à leurs délégués, – et l’on peut ainsi annoncer que l’alliance des so­cialistes-révolutionnaires des deux mondes est un fait accompli.

L’Association Internationale des Travailleurs est le terrain commun, sur lequel s’est établie cette entente, et désormais la grande Associa­tion qui, il y a dix ans faisait trembler la bourgeoisie, va prendre une vie nouvelle.

Tous ceux qui, réellement, sans réticences, veulent la révolution sociale et qui compren­nent que la révolution ne se prépare que par des moyens révolutionnaires, se donnent au­jourd’hui la main et constituent une seule or­ganisation, vaste et puissante, l’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS.

Assez de patauger dans la boue parlemen­taire ! Assez de chercher des chemins tortueux pour arriver à notre but ! Assez de supplier là où l’ouvrier doit prendre ce qui lui appartient de droit. Assez de se prosterner devant les idoles du passé !

Il est temps, il est bien temps, de marcher franchement à la révolution, au renversement complet des institutions abjectes de la société actuelle.

Et, que tous ceux qui tiennent à renverser ces institutions, qui tiennent à ce que la pro­chaine révolution soit la REVOLUTION SO­CIALE, viennent combiner leurs efforts en se groupant tous autour du même drapeau, le drapeau rouge de l’ASSOCIATION INTERNA­TIONALE DES TRAVAILLEURS !

Voilà le pacte fédératif que le Congrès de Londres propose à toutes les organisations socialistes-révolutionnaires. Ce pacte, on le ver­ra, ne diffère de celui qui fut adopté par les Congrès de l’Association Internationale de 1866 et de 1873, que par quelques modifications in­signifiantes apportées à cette partie des statuts qui fut révisée au Congrès de 1873 à la suite de l’abolition définitive du Conseil Général. Le reste est conservé intact.

Considérant:

Que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; que les efforts des travailleurs pour conquérir leur émancipation ne doivent pas tendre à consti­tuer de nouveaux privilèges, mais à établir pour tous les mêmes droits et les mêmes de­voirs ;

Que l’assujettissement du travailleur au ca­pital est la source de toute servitude : politique, morale et matérielle ;

Que, pour cette raison, l’émancipation éco­nomique des travailleurs est le grand but au­quel doit être subordonné tout mouvement po­litique ;

Que tous les efforts faits jusqu’ici ont échoué, faute de solidarité entre les ouvriers des diverses professions dans chaque pays, et d’une union fraternelle entre les travailleurs des diverses contrées ;

Que l’émancipation des travailleurs n’est pas un problème simplement local ou national, qu’au contraire ce problème intéresse toutes les nations civilisées, sa solution étant néces­sairement subordonnée à leur concours théo­rique et pratique ;

Que le mouvement qui s’accomplit parmi les ouvriers des pays les plus industrieux, en fai­sant naitre de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne pas retomber dans les vielles erreurs, et conseille de combi­ner tous les efforts encore isolés ;

Pour ces raisons :

Le Congrès de L’Association Internationale des Travailleurs, tenu à Genève le 3 septem­bre 1866, déclare que cette association, ainsi que toutes les sociétés ou individus y adhérant, reconnaîtront comme devant être la base de leur conduite envers tous les hommes: la vé­rité, la justice, la morale, sans distinction de couleur, de croyance ou de nationalité.

Le Congrès considère comme un devoir de réclamer les droits d’homme et de citoyen non- seulement pour les membres de l’Association, mais encore pour quiconque accomplit ses de­voirs. Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs.

Les représentants des socialistes-révolution­naires des deux mondes, réunis à Londres le 14 juillet 1881, tous partisans de la destruction intégrale, par la force, des institutions actuel­les, politiques et économiques, ont accepté cette déclaration de principes.

Ils déclarent – d’accord, d’ailleurs, avec la conception que lui a toujours donné l’Internationale, – que le mot morale employé dans les considérants n’est, pas employé dans le sens que lui donne la bourgeoisie, mais dans ce sens que la société actuelle, ayant pour base l’immoralité, ce sera l’abolition de celle-ci, par tous les moyens, qui nous amènera à la moralité.

Considérant que l’heure est venue, de passer de la période d’affirmation à la période d’action, et de joindre à la propagande verbale et écrite, dont l’inefficacité est démontrée, la pro­pagande par le fait et l’action insurrection­nelle,

Ils proposent aux groupes adhérents les ré­solutions suivantes :

L’Association Internationale des Travailleurs se déclare l’adversaire de la politique parlementaire.

Quiconque adopte et défend les principes de l’Association pourra en être reçu membre.

Chaque groupe adhérent aura le droit de correspondre directement avec tous les autres groupes et fédérations qui pourront lui donner leurs adresses.

Cependant, pour faciliter les relations, il sera institué un bureau international de renseigne­ments. Ce bureau sera composé de trois mem­bres.

Les frais généraux seront couverts par des cotisations volontaires qui seront remises aux mains du dit bureau.

Les adhésions seront reçues à ce bureau qui devra les communiquer à tous les groupes.

Un Congrès international se réunira selon les décisions des groupes et des fédérations adhérentes.

Il est évident que ce n’est pas dans des dé­clarations destinées à être rendues publiques que le Congrès pouvait exprimer toute son opinion sur les moyens d’acton qui pourraient être employés par les révolutionnaires. Néan­moins dans la résolution suivante il a exprimé quelques idées à ce sujet.

Voilà cette déclaration : Considérant,

que l’Association Internationale des Travail­leurs a reconnu nécessaire de joindre à la pro­pagande verbale et écrite la propagande par le fait;

Considérant, en outre, que l’époque d’une révolution générale n’est pas éloignée et que les éléments révolutionnaires seront bientôt appelés à donner la mesure de leur dévoue­ment à la cause prolétarienne et de leur puis­sance d’action ;

Le Congrès émet le vœu que les organisa­tions adhérentes à l’Association Internationale des Travailleurs veuillent bien tenir compte des propositions suivantes :

Il est de stricte nécessité de faire tous les ef­forts possibles pour propager par des actes, l’i­dée révolutionnaire et l’esprit de révolte dans cette grande fraction de la masse populaire qui ne prend pas encore une part active au mouvement, et se fait des illusions sur la mo­ralité et l’efficacité des moyens légaux.

En sortant du terrain légal, sur lequel on est généralement resté jusqu’aujourd’hui, pour porter notre action sur le terrain de l’illégalité qui est la seule voie menant à la révolution, – il est nécessaire d’avoir recours à des moyens qui soient en conformité avec ce but.

Les persécutions auxquelles la presse révo­lutionnaire publique est en lutte dans tous les pays, nous font désormais une nécessité de l’organisation d’une presse clandestine.

La grande masse des travailleurs des cam­pagnes restant encore en dehors du mouve­ment socialiste-révolutionnaire, il est absolu­ment nécessaire de diriger nos efforts de ce côté, en se souvenant que le plus simple fait, dirigé contre les institutions actuelles, parle mieux aux masses que des milliers d’imprimés et des îlots de paroles, et que la propagande par le fait dans les campagnes a encore plus d’importance que dans les villes.

Les sciences techniques et chimiques ayant déjà rendu des services à la cause révolution­naire et étant appelés à en rendre encore de plus grands à l’avenir; le Congres recommande aux organisations et individus faisant partie de l’Association Internationale des Travail­leurs, de donner un grand poids à l’étude et aux applications de ces sciences, comme moyen de défense et d’attaque :

A ces deux résolutions principales, nous de­vons joindre encore, pour compléter de caractériser l’œuvre de Congrès, la résolution sui­vante, après quoi nous allons donner un compte-rendu, aussi détaillé que possible, des sé­ances du Congrès. Voici cette résolution :

« Le Congrès, ne se reconnaissant pas d’autre droit que celui d’indiquer les lignes générales de ce qui lui parait être la meilleure organi­sation socialiste révolutionnaire,

S’en rapporte à l’initiative des groupes pour les organisations secrètes et autres qui leur sembleraient utiles au triomphe de la Révolution Sociale. »


[1] [4] Sur la chanson anarchiste, voir Manfredonia Gaetano, La chanson anarchiste en France des origines à 1914, L’Harmattan, 1997.