- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Transalpine Lupinose

[1]Sur son site internet aussi bien que dans sa version papier, Books, comme son nom ne l’indique pas est un magazine littéraire français cherchant l’originalité depuis décembre 2008. Le mensuel propose ainsi à ses lecteurs une vision de l’actualité profonde, de la culture et des enjeux internationaux. Soit. Il ambitionne encore, à l’image de Courier International, de compiler des articles de haut niveau portant sur la production éditoriale mondiale. Soit encore. Mais lorsque la revue veut combattre la tentation du zapping et de la pensée facile, un léger picotement commence à titiller nos zygomatiques. Cela sent la lupinose à plein nez…

Le n°39, de janvier 2013, est consacré à Israël mais ne manque pas de faire la recension de livres sortis plus ou moins récemment. Au mois de septembre de l’année précédente, les éditions Eleuthera publiaient Rubare per l’anarchia narrant la vie de cambrioleur de l’anarchiste Alexandre Jacob, Lupin pas si gentleman pour Books qui reprend en réalité un article d’Antonio Carioti paru dans La Lettura (supplément littéraire du Corriere della sera) le 9 de ce mois sous le titre L’anarchico che ispirò Arsenio Lupin. A la différence du quotidien italien, Books ne signale pas le livre d’Eleuthera mais celui de l’Atelier de Création Libertaire pour ses lecteurs francophones. Il n’en demeure pas moins que pensée facile et lupinose se rejoignent des deux côtés des Alpes.

Les éléphants d’Hannibal ayant franchi cette montagne il y a fort longtemps, nous avons suivi le chemin tracé pour découvrir que la pandémie est bien réelle. Force est de constater que l’ouvrage d’Eleuthera a bénéficié d’une bonne couverture médiatique. Bonne mais systématiquement axée sur le fallacieux amalgame. Les titres des papiers suffisent amplement pour se rendre compte de l’étendue de l’affliction :

–          O9 septembre 2012 : La lettura, Corriere della Sera, l’anarchico che ispiro Arsenio Lupin par Antonio Carioti

–          19 septembre 2012 : Il  Giornale, Il Robin Hood dell’anarchia che ispiro Arsène Lupin par Luca Crovi

–          18 octobre 2012 : Il Tirreno, Storia dell’uomo che ispiro Arsenio Lupin

–          30 novembre 2012 : Il venerdi, supplemento de La republica, Rubare per l’anarchia, « Sulla tomba di Alexandre Marius Jacob c’è scritto che protebbe essere stato Arsenio Lupin »

Valerio Evangelisti dans le très populaire site Carmilla on line va plus loin le 28 décembre. Le romancier, né à Bologne en 1952, signale dans son papier qu’il avait déjà commis un article sur Alexandre Jacob. Le 02 juin 2004, à l’occasion de la réédition des Ecrits de l’honnête cambrioleur chez L’Insomniaque, il affirmait hautement qu’Arsène Lupin était de retour (toujours dans le même site). Nous comprenons aisément pourquoi cet amateur émérite de science-fiction émet l’hypothèse de l’inutilité d’une annexe dans Rubare per l’anarchia démontrant, si besoin est, que la comparaison entre le réel et l’imaginaire ne fait que troubler la compréhension d’un phénomène historique, l’illégalisme, dont Jean Maitron dans son Histoire du mouvement anarchiste français disait de Jacob qu »il en était le cas témoin. Autrement dit, parler d’Arsène Lupin revient à faire de Jacob un aventurier certes plus extraordinaire que le commun. Il permet aussi, et c’est un fait bien établi, de vendre son ouvrage, son article, son propos plus facilement.

En ce sens, il convenait dans cette annexe de resituer une problématique et une historiographe rendant ardue la compréhension d’un contexte.

Evangelisti ne devrait ainsi pas prendre pour argent comptant les affabulations et nombreuses erreurs que l’on peut trouver dans les biographies précédentes du voleur anarchiste, et en particulier celles commises par feu Bernard Thomas qu’il semble pourtant affectionner. Il regrette d’ailleurs une espèce d’acharnement sur un auteur dont il loue la qualité de la documentation.   Evangelisti aurait tout de même pu s’interroger sur les sources utilisées par l’ancien collaborateur au Canard Enchaîné qui avouait en 1998 inventer son récit quand les dites sources venaient à manquer. Ce qui est étonnant finalement, c’est que la critique du Rubare per l’anarchia provient d’un historien de formation. Et si, cela se passe de tout commentaire bien évidemment, cela enlève aussi la pertinence de la critique émise. CQFD !, comme aurait dit Sébastien Faure ; Amen !, comme Jacob terminait si souvent ses lettres. Le reste c’est de la science-fiction.

[2]Books

Livres et idée du monde entier

Numéro 39 – Janvier 2013

Francophilies

Mis en ligne sur www. www.books.fr/francophilies/lupin-pas-si-gentleman/ le jeudi 27 décembre 2012

Numéro 39

Lupin, pas si gentleman

Le modèle du héros de Maurice Leblanc était en réalité un révolutionnaire. Issu d’un milieu populaire de Marseille, initié tôt aux rigueurs de l’existence, il signait ses vols « Attila » et reversait 10 % de son butin au mouvement anarchiste. Pendant son procès, il tint tête à ses juges.

Le Livre

Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur

par Jean-Marc Delpech

Atelier création libertaire

Juin 1899, casino de Monte-Carlo : d’élégants messieurs et des femmes arborant leurs bijoux se pressent autour de la roulette. Les mises tombent. Le croupier lance la bille lorsque, devant lui, à ce moment précis, un jeune homme aux habits sombres s’écroule sur le sol. Il devient bleu, en proie à de violentes convulsions, la bave coule de sa bouche. Passés les premiers instants de surprise, plusieurs personnes dans l’assistance lui viennent en aide, les autres s’approchent, intriguées. Mais le garçon continue de trembler : il est transporté chez le médecin, où il reprend peu à peu ses esprits. Dans l’intervalle, quelqu’un a profité de la distraction générale pour faire main basse sur les mises posées sur le tapis vert et a filé en douce.

L’épileptique présumé jouait la comédie, laissant son complice profiter de la situation. Le simulateur, la vingtaine à peine, n’en est qu’aux débuts de sa foudroyante carrière criminelle : en trois ans seulement, il comptabilise 156 coups à son actif. Cambrioleur expérimenté, inventeur de crochets à coffre-fort sophistiqués, extrêmement doué pour le déguisement, bonimenteur brillant, il peut compter sur le soutien du mouvement anarchiste, auquel il reverse 10 % du butin. Sur sa tombe, au cimetière de Reuilly, un village de deux mille habitants dans le centre de la France, il est inscrit : « Ici repose Alexandre Marius Jacob, peut-être Arsène Lupin. » En effet, le premier récit de Maurice Leblanc sur les aventures du célèbre gentleman cambrioleur paraît en juillet 1905, soit quelques mois seulement après le retentissant procès de Jacob. Et il ne fait aucun doute que le créateur de Lupin connaissait le critique littéraire Georges Pioch, défenseur acharné et compagnon de foi du malfaiteur anarchiste. Une simple coïncidence ?

Pour ceux qui regardaient la télévision dans les années 1970, Lupin a le sourire ironique et les belles manières de Georges Descrières, qui en interpréta le rôle dans une série populaire de vingt-six épisodes. La génération qui a grandi avec les dessins animés japonais est quant à elle plus familière de Lupin III, censé être le petit-fils du malfaiteur français, escroc désinvolte et coureur de jupons imaginé par l’auteur de mangas Monkey Punch. La récente adaptation cinématographique du personnage de Leblanc, réalisée en 2004 par Jean-Paul Salomé, n’a pas eu, en revanche, beaucoup de succès. Chacune de ces déclinaisons est cependant restée fidèle au Lupin du classique littéraire : un bourgeois fréquentant la haute société, dont il partage les habitudes tout comme, au fond, certaines valeurs, volant en général des individus arrogants et malhonnêtes. Leblanc était lui-même, d’ailleurs, fils d’un industriel normand.

Alexandre Jacob, comme le souligne son biographe Jean-Marc Delpech dans son Portrait d’un anarchiste, vit dans un autre monde. Né en 1879, fils d’un boulanger qui finira par sombrer dans l’alcool, il grandit dans les quartiers populaires de Marseille et n’a que 11 ans lorsqu’il s’embarque comme mousse, apprenant à sentir dans sa chair la dureté de la vie à bord. Il navigue dans les eaux d’Afrique et d’Asie, jusqu’au Pacifique. Initié au sexe par des passagères décomplexées, il ne laisse pas pour autant d’être l’objet des attentions des marins adultes. Il déserte la mer à la fin de l’année 1897, affaibli par les fièvres contractées lors de ses voyages. « J’ai vu le monde et il n’était pas beau », dira-t-il plus tard de cette période de son adolescence.

Même lorsqu’il deviendra, en 1901, le prince des cambrioleurs, le danger qui menace chaque coffre-fort et chaque demeure bourgeoise, le jeune Marseillais mènera une vie modeste, peut-être pour ne pas se faire remarquer. Il reste un homme du peuple, aux antipodes de la sophistication d’un Arsène Lupin, bien que sa bande, les Travailleurs de la Nuit, suive des principes d’efficacité dignes d’une entreprise capitaliste ; il arrive même, raconte Delpech, qu’il soit consulté par la célèbre compagnie d’assurance londonienne Lloyd’s, en tant qu’ « expert en vols avec effraction ».

Jacob et Lupin partagent toutefois le même goût pour le défi et la raillerie. Le héros de Leblanc laisse toujours une ironique carte de visite sur les lieux du crime, tandis que l’anarchiste marseillais signe « Attila » ses messages sarcastiques, parfois même blasphématoires. Ainsi, en 1902, après avoir saccagé une église, il déposa sur le tabernacle entièrement vidé, le mot suivant : « Oh Dieu tout-puissant, cherche ton calice. » Une marque d’hostilité envers la religion et les institutions traditionnelles totalement absente chez Lupin.

Nos deux audacieux délinquants sont d’ailleurs absolument opposés en politique. Si Arsène fait montre de tendances philanthropiques, il ne remet pas en cause l’ordre social et manifeste des sentiments patriotiques. La première fois qu’Alexandre Marius est envoyé en prison, c’est en 1897, condamné pour son activisme anarchiste. Le fait d’être catalogué comme un subversif que personne ne veut embaucher contribuera à le pousser sur la voie du crime. « J’ai préféré être voleur que volé », déclare-t-il devant les juges, dénonçant l’exploitation du prolétariat. Jacob est autant un malfaiteur qu’un révolutionnaire, ce qui, par bien des aspects, peut tourner à son avantage : c’est par exemple grâce à l’aide d’un infirmier anarchiste qu’il parvient à s’enfuir de l’asile où il avait réussi à se faire interner au lendemain de sa deuxième arrestation, en se faisant passer pour un déséquilibré. Nous pouvons donc en conclure que, tout en s’inspirant des aventures de Jacob, Leblanc a ensuite fabriqué Lupin à partir d’autres ingrédients, plus en affinité avec sa sensibilité personnelle et avec celle de ses potentiels lecteurs. L’anarchiste marseillais retourne en prison en 1903 après un vol qui a mal tourné : lui et sa poignée de complices se sortent d’une fusillade avec deux policiers, dont l’un est tué ; mais, pendant la fuite, Jacob est reconnu par un ouvrier, l’un de ceux pour qui, paradoxalement, il déclare se battre. « C’est mon Waterloo », dira-t-il. Un papier mentionnant son domicile parisien, retrouvé sur l’un de ses complices, permet de démanteler toute la bande, qui sera jugée en groupe (vingt-trois accusés) en mars 1905 à Amiens, occupée en masse par la police et même par l’armée.

Le chef des Travailleurs de la Nuit y révèle son étoffe de leader politique, tenant tête aux magistrats avec ruse et vigueur. Dans le même temps, la presse anarchiste, financée en partie par le fruit de ses activités illégales, le célèbre et menace les jurés. Un scénario qui rappelle les procès des Brigades rouges : Gabrielle Damiens, dont les aveux ont permis de coincer la bande, une « repentie » en quelque sorte, est retrouvée morte peu après la clôture de l’instruction.

La justice bourgeoise finit cependant par triompher. Jacob est condamné aux travaux forcés à vie et passe presque vingt ans au bagne en Guyane, où les détenus, soumis à des efforts surhumains et au climat insalubre, tombent comme des mouches. Lui, pourtant, survit, contrairement aux autres Travailleurs de la Nuit qui finissent tous leurs jours dans cet enfer. En 1925, il rentre en France, soutenu par une campagne de presse, et est libéré en 1927.

Il ne commet plus aucun délit et travaille comme vendeur ambulant, mais reste fidèle au credo anarchiste. L’État est toujours son pire ennemi, non plus sous les habits de la police, mais sous ceux du fisc. En 1954, encore vaillant, il décide de se suicider avant que ses forces ne le quittent. Au retour d’une petite fête, il s’injecte une dose létale de morphine. Et laisse une lettre dans laquelle il déclare mourir « le sourire aux lèvres et la paix dans le cœur ». Il ajoute en post-scriptum : « Je vous laisse deux litres de vin rosé. Trinquez à ma santé. » Une façon de prendre congé digne d’Arsène Lupin.

Cet article est paru dans le Corriere della Sera le 9 septembre 2012. Il a été traduit par Maïra Muchnik.

[3]L’auteur de l’article

Antonio Carioti

Journaliste culturel, Antonio Carioti collabore aux pages littéraires du Corriere della Sera. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont : « Brève histoire du présidentialisme italien » (1997), « Maudits actionnaires » (2001) et « La jeunesse neofasciste et le projet de la « grande droite » » (2011).

[4]Valerio Evangelisti

Carmilla on line

http://www.carmillaonline.com/archives/2012/12/004578.html#004578

28 décembre 2012

Jean-Marc Delpech, Rubare per l’anarchia. Alexandre Marius Jacob, ovvero la singolare guerra di classe di un sovversivo della Belle Epoque, ed. Elèuthera, 2012, pp. 162, € 14,00.

Di Alexandre Marius Jacob mi sono già occupato in un precedente articolo, incentrato in gran parte sulla controversa questione di Jacob quale ispiratore di Arsène Lupin, il leggendario gentleman-cambrioleur creato da Maurice Leblanc. Ora Elèuthera propone un saggio che, pur dedicando a tale faccenda di dubbio rilievo un intero capitolo (in appendice), si concentra piuttosto sul contesto ideologico in cui il « caso Jacob » va inquadrato.
Ricordo che Alexandre Marius Jacob, scassinatore geniale, anima di una banda anarchica che si autodenominò Les Travailleurs de la Nuit (« I lavoratori della notte »), portò a termine, ai primi del ‘900, una quantità impressionante di furti e rapine un po’ in tutta la Francia. A differenza della successiva « banda Bonnot » evitò il più possibile di spargere sangue, salvo qualche sporadico caso sostanzialmente di autodifesa.

Arrestato nel 1905, pronunciò davanti ai giudici una requisitoria memorabile. Fu inviato nella colonia penale della Guyana, dove rimase fino al 1927. Da allora campò come venditore ambulante e scrisse moltissimi articoli per la stampa anarchica, oggi raccolti in due tomi voluminosi. Sentendosi privo di forze, si suicidò nel 1954. Lasciò a chi avesse trovato il suo corpo due bottiglioni di vino rosso, da bere alla sua salute. Aveva 75 anni.
La vicenda di Jacob, come anche quella più truculenta di Bonnot, si inquadra nel filone dell’anarchismo « illegalista », fiorito soprattutto in Francia (meno in altri paesi, tra cui l’Italia) tra gli ultimi anni del XIX secolo e i primi del XX, con appendici che si prolungano fino ai giorni nostri. La tesi di fondo era nitida: se la borghesia ti deruba, tu sei legittimato a derubare la borghesia, e a riappropriarti di quote della ricchezza che ti hanno tolto. Qualcosa di simile agli « espropri proletari » avvenuti in Italia nel 1977 e dintorni, e in Spagna l’anno scorso.
L’illegalismo viene normalmente ricondotto all’anarchismo individualista che si ispirava a Stirner, a Nietzsche, a Zo d’Axa, a Emile Armand, ad Albert Libertad, ad André Lorulot, ma non è sempre vero. La parte di bottino che Jacob destinava all’azione politica andava, nei suoi begli anni, al giornale « Le Libertaire » di Sébastien Faure, che non era né individualista né illegalista. Non c’è traccia di individualismo, a mio giudizio, negli scritti o nelle azioni del più famoso ladro di quegli anni. Rubare era anzitutto strumentale al finanziamento di un movimento che si batteva per l’uguaglianza. E poi era egualitario in sé, purché si colpissero gli obiettivi giusti: padroni e parassiti.
Il libro di Delpech racconta assai correttamente e con scorrevolezza la complicata vicenda. Avrei due sole obiezioni.
Delpech sembra avercela con il libro del compianto Bernard Thomas Jacob Alexandre Marius, Edizioni Anarchismo, 1989. Lo denigra ogni volta che può. Non capisco perché. Thomas avrebbe romanzato la vita di Jacob e ne avrebbe oscurato gli aspetti « politici ». Non è affatto vero! Leggere per credere. Thomas avrà romanzato un pochino, però la sua ricostruzione è rigorosa e dettagliata, molto più di quella del suo « rivale ». Una ristampa si imporrebbe.
Seconda obiezione: Delpech spreca pagine per dire che Jacob non sarebbe stato fonte di ispirazione per Maurice Leblanc. Gioco facile, visto che Arsène Lupin è un nazionalista arrabbiato, e Leblanc era un repubblicano all’acqua di rose. Però Delpech dimostra, credo per la prima volta, che Leblanc conosceva le imprese di Jacob prima ancora del processo (circostanza negata da vari commentatori, tra cui il nostro Oreste Del Buono). Dà quindi fondamento alla tesi che vorrebbe negare.
Ma che importa? Jacob è personaggio superiore a queste quisquilie. E, si concordi o meno con le scelte del cambrioleur non sempre gentleman, il libro di Delpech va letto. Restituisce il ritratto di una grande personalità. Rimasta tale anche al momento del suicidio, trasformato in uscita di scena quasi festosa e popolaresca, carica di profonda dignità.