- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Dix questions à … Michel Mathurin

[1]Ce docu-fiction que nous offre Michel Mathurin aura pour certains un petit accent désuet, nous préviens le site internet www.mariusjacob-lefilm.fr [2]. Pour d’autres, en revanche, il pourrait servir de postulat pour repenser notre monde actuel. A n’en point douter, Hors les lois et la servitude, n’est pas un film d’amateur. Le cinéaste, animateur de la salle obscure de Masseube dans le Gers, dresse le portrait d’un honnête cambrioleur, ici superbement incarné par Francis Ferrié. Les moyens du bord et le nerf de la guerre peuvent justifier un rythme lent, des décors minimalistes ou bien une vision que d’aucuns pourront juger (sic) rapide. Pouvait-il en être autrement en 52 minutes. Il n’empêche que sous vos yeux grands ouverts apparaissent Jacob et les Travailleurs de la Nuit au plus près d’une réalité politique que d’autres ont voulu marquer du simple et réducteur sceau de l’aventure et du fait de droit commun. C’est un film politique, réalisé en 2011 et où le droit de vivre ne se mendie pas … On connait la suite et on espère que Michel Mathurin, qui a bien voulu répondre au dix questions du Jacoblog, trouvera très vite un distributeur pour diffuser cette vie d’anarchiste très prochainement sur les toiles de France, de Navarre et d’ailleurs. Car le droit de filmer ne se mendie pas non plus.

[3]1) Hors les lois et les servitudes a été réalisé pour partir à l’été 2011. As-tu montré ton film ? Est-il sorti en salle ? Quelles ont été les réactions ?

Le film a été réalisé en 2011. Il n’est pas encore sorti en salle car je n’ai pas encore le visa du CNC, et je cherche un distributeur. Par contre, il y a eu trois avant-premières. Les réactions lors des projections ont été diverses.

Lors de la première : réactions au niveau cinématographique « Sur le rythme du film, le jeu des acteurs », ce qui m’a permis de retravailler le montage et d’en arriver à la version actuelle.

Deuxième projection : Les cinéphiles chercheurs en cinéma ont trouvé que mon film ressemble au cinéma de Petter Watkins sur la Commune. Quel honneur pour moi. J’ai rencontré Petter et j’aime son cinéma.

Troisième projection : Il y avait dans la salle à Auch une personne férue d’histoire sociale qui a orienté le débat sur l’anarchie. J’ai pu faire une tribune sur le sujet et faire découvrir à pas mal de personnes que « Anarchie, ce n’est pas bordel, désordre, mais égalité dans la liberté ». A cette séance, il y avait Micha (Qui joue Marius âgé). Il y a aussi des personnes qui sont dérangées par le propos subversif du film.

[4]2) Pourquoi un film sur Jacob ? Peux-tu nous raconter la genèse de Hors les Lois et les servitudes (HLS) ?

Le film sur Jacob s’inscrit dans une trilogie sur l’anarchisme.

Le premier film « Il n’y en a pas un sur cent » est le portrait de Micha autodidacte. C’est un voyage dans l’univers culturel varié du personnage.  Du surréalisme à l’anarchie, le pas est vite franchi. Engagé sur tous les fronts, celui de la pensée et celui de l’action, il lutte contre toutes les oppressions qu’elles soient capitalistes, militaristes ou religieuses.

Le second film « Et pourtant ils existent », est l’histoire du Syndicalisme d’action directe. Combien de personnes savent que le CGT, quand elle s’est constituée, était différente des syndicats représentatifs actuels ? Je pars de la Fédération des Bourses du Travail jusqu’à la CNT aujourd’hui.

Le troisième film « Hors les lois et la Servitude » traite de l’anarchisme Individualiste et de la reprise individuelle.

[5]3) Qui sont les acteurs que l’on voit dans ton film ? Comment as-tu construit ton casting ? Francis Ferrié qui incarne Alexandre Jacob n’est-il pas un peu vieux pour ce rôle ? Le rôle de Karine Hardy se limite-t-il simplement à Rose Roux, la compagne de Jacob, ou bien est-elle l’évocation d’un féminisme anarchiste ?

Les acteurs. Francis Ferrié est un comédien musicien. On a composé la chanson du générique ensemble. Je le connaissais déjà. Je l’avais vu dans une pièce de théâtre antimilitariste (La vieille fosse). Je trouve que physiquement il ressemble à Jacob (en plus vieux), quoique Marius avait les traits tirés. Karine Hardy, que j’ai connue il y a 14 ans. J’avais envie de travailler avec elle, donc le personnage de Rose dans mon film est une artiste chanteuse, modèle de photographe fréquentant les milieux libres anarchistes. Je regrette de ne pas avoir pu développer ce côté de l’anarchisme individualiste et des lieux de vie par manque de temps et de budget. J’ai voulu une Rose anarchiste féministe.

[6]4) En regardant ton film, on pourrait facilement se dire que tu as utilisé tous les bouts de ficelles pour mener à bien ton projet. Le droit de filmer ne se mendie pas ? Quels ont été les problèmes que tu as rencontrés au cours de ta réalisation ?

Oui, mon film a été réalisé avec un budget réduit. Hormis pour payer les acteurs principaux (petit cachet), le matériel de prise de vue, le montage et j’ai privilégié la restauration de toute l’équipe car pour moi il était important qu’ils soient bien traités et je remercie encore l’équipe qui m’a beaucoup aidé. Le travail de régie a été très dur. Je n’ai eu aucune aide de la région Midi-Pyrénées. Le film est autoproduit. J’ai eu de la chance de trouver des décors 1900. On m’a prêté des costumes, des objets et une vieille voiture. La préparation du tournage a duré un an, le tournage 5 jours en juillet dont 4 de pluie, et 2 jours en octobre, soit 7 jours en tout, ce qui est court pour un 50 minutes.

[7]5) HLS résonne un peu comme un cri de révolte, une justification des pratiques illégalistes. Tu fais d’ailleurs dire à Jacob : Ce que les théoriciens appellent la reprise individuelle, nous, on essaie de la systématiser. Le vol, même considéré comme une pratique révolutionnaire, est-il acceptable en 2012 comme en 1900 ? Les déclarations de Jacob ne font-elles pas justement de lui un théoricien de l’illégalisme en même temps qu’il fut un des ses acteurs les plus brillants ?

Le titre est un cri de révolte. « Hors les lois et la Servitude » m’a été inspiré par un poème de Fernand Pelloutier (autre anar que j’admire). Jacob, de tous les illégalistes, est pour moi le plus réfléchi et le plus créatif dans son art de la cambriole. Et le refus de recourir systématiquement à la violence lui a valu le soutien de libertaires de tout poids contrairement à la bande à Bonnot.

Le vol en 2012, il vient de l’Etat des Patrons de l’Eglise (qui par ses richesses est une insulte aux pauvres qui leur servent de pain béni pour les propagandes). La réappropriation individuelle à la Jacob n’est pas la solution. Reste donc la réappropriation collective des moyens de production et des richesses au bénéfice des producteurs eux-mêmes comme le prône l’anarcho-syndicalisme, et est une nécessité.

[8]6) Dans HLS, on chante du Couté et on discute beaucoup. Nous savons l’honnête cambrioleur beau parleur et fin dialecticien. Mais n’est-ce point là le propre de l’anarchie que de s’engluer dans de vaines et stériles controverses ?

On chante Couté, on discute, tel est le propre des anars. Dans le décor du hangar où il y a partage, on voit des livres, des journaux, des affiches. C’est un peu le côté Bourse du Travail que j’ai voulu (« La révolte est le fait de l’homme informé qui possède la conscience de ses droits. » Albert Camus.)

Chez les anars, les décisions se prennent généralement en AG. Donc, on discute, on s’embrouille, et ce n’est pas toujours la bonne solution qui est adoptée. Mais au moins, tout le monde s’exprime. Le point faible est que les grandes gueules arrivent à prendre le pouvoir alors qu’ils se disent contre.

[9]7) Quelle place accordes-tu au temps des procès ? Ne résonne-t-il que comme la fin d’une belle aventure, une sorte de chant de cygne avant les temps sombres du bagne ?

Pour le temps du procès, j’ai fait le choix de ne pas remplir la salle, pour justement montrer l’isolement des individus face à la machine judiciaire à la solde du pouvoir. Le juge n’écoute pas Jacob, ou si peu, puisque son sort est défini à l’avance. Par contre, Marius est formidable par le propos tenu tel à une tribune comme aurait pu le faire un Sébastien Faure (penseur anar). Pour moi, c’est la partie du film que je préfère. Elle est la plus forte.

[10]8 ) HLS commence avec une scène où l’on voit Jacob, vieux, dans sa « maisonnée de Bois Saint Denis », écrire la lettre où il prépare son suicide. Il pleure. Pourquoi ce choix de la tristesse alors que l’homme, doté d’un sens inébranlable de l’humour, met volontairement fin à sa vie et réussit magistralement sa dernière évasion ?

Jacob vieux. J’ai choisi mon ami Micha, qui est un anar de vieille date. Je trouve qu’il ressemble au personnage. Pourquoi il verse une larme ? Il revoit sa mère et Rose qui ont beaucoup compté pour lui. Et après tant d’efforts pour changer le monde et faire évoluer les gens, il est un peu déçu de voir que tout reste à faire. Tel que je le suis moi-même aujourd’hui.

[11]9) HLS se termine par l’évocation du Docteur Rousseau, joué par Alain Chatenet. Pourquoi alors que la vie de Jacob ne s’arrête pas à son retour du bagne ?

L’évocation du docteur Rousseau. Au départ, j’ai demandé à Alain Chatenet de lire le texte pour une voix off. Et quand il est arrivé sur le lieu du tournage, on lui a mis un costume et je l’ai filmé. Le rendu est super. Je voulais justement évoquer le service rendu à la population pénale et le fait que ce médecin admire l’humain qu’il y a en Jacob.

[12]10) La presse locale, Sud Ouest et la Dépêche du Midi en particulier, ont évoqué le tournage de HLS. Comment réagis-tu à cette publicité où Alexandre Jacob apparait comme un personnage qui a inspiré celui d’Arsène Lupin (Sud-Ouest, 08 août 2011) ? Es-tu atteint de lupinose ?

La presse locale a permis de parler du film et d’éveiller la curiosité du spectateur. Arsène Lupin est pour moi un dandy bourgeois qui vole pour son propre compte. Rien à voir avec notre cambrioleur préféré. Je n’ai jamais lu Arsène Lupin. Le seul livre de Leblanc que j’ai lu est L’île aux trente cercueils. Il paraîtrait que Leblanc a assisté au procès de Marius et qu’il en a retiré quelques idées. Jacob a aussi inspiré le Voleur de Darien et la scène du parapluie dans le film « Du Rififi chez les hommes »

Par contre, quand j’ai demandé des autorisations de tournage sur des lieux publics, j’ai triché en disant que je faisais un film sur Jacob qui a inspiré Leblanc, et sur Arsène Lupin. Car si au départ j’avais annoncé que je faisais un film sur l’illégalisme anarchiste, j’aurais eu encore plus de difficultés à obtenir des autorisations.