- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Dix questions à … Jean Contrucci

[1]Jean Contrucci est journaliste. Il écrit aussi des romans policiers pour tous, même ceux vivant au-dessus du 45e parallèle, qui, comme chacun sait, passe par Valence. Mais nous ne vous révèlerons ni Le secret du docteur Danglars, ni même la solution de L’Enigme de la Blancarde, et encore moins le nom du coupable du Double crime de la rue Bleue. Les intrigues sorties de son imagination vous plongeront avec délectation dans les Nouveaux mystères de Marseille. L’auteur insuffle un air frais, venu du Sud, au roman populaire. Cette série, faite de dix histoires qui dépassent largement le cadre du polar régional, se clôt en 2011 avec Le Somnambule de la villa aux loups. Elle vous permettra de faire connaissance avec une galerie de personnages, tous aussi singuliers les uns que les autres et évoluant dans la cité phocéenne à la fin du XIXe siècle. C’est la ville de l’honnête cambrioleur qui prend forme. C’est aussi celle de Raoul Signoret, chroniqueur judiciaire au Petit Provençal, et de son oncle Eugène Baruteau, chef des flics du cru. Je suis de Marseille et je m’en vante, dit l’honnête cambrioleur par bravade en 1905. On comprend mieux pourquoi avec Jean Contrucci qui a bien voulu se soumettre aux dix questions du Jacoblog. Dix petites questions sur le roman policier, sur le Marseille du XIXe siècle et, bien sûr, sur cet illégaliste anarchiste qu’il affectionne et qui serait une espèce de voleur volé par un autre écrivain, celui-là nettement plus septentrional.

[2]1) En mars 1905, à Amiens, lors de son procès, Alexandre Jacob déclare être de Marseille et aussi, certes par provocation, s’en vanter. Partagez-vous ce sentiment ? Tous vos livres se concentrent-ils sur cette ville et sa région ? Comment expliquer l’attachement à la cité phocéenne ?

Que Jacob déclare être né à Marseille ne me paraît relever spécialement de la provocation. (Il en fera d’autres, plus flagrantes !) C’est tout simplement la vérité (il est né à l’angle rue Mayousse / Quai du Port, si j’ai bonne mémoire) énoncée par un homme pour qui la liberté était chose sacrée.

Quant à la « concentration »  – comme vous dites – de mes livres sur Marseille, c’est tout bonnement parce que je crois qu’on parle mieux de ce qu’on connaît bien. Si j’allais situer le décor de mes romans à Dunkerque ou même à Montélimar, je risquerais de dire des bêtises comme j’en ai lues maints exemples au cours de ma vie professionnelle dans des romans manifestement écrits avec un plan de la ville à la main (et encore pas toujours !…)

[3]2) Vous êtes journaliste depuis 1966 et vous avez notamment travaillé pour Le Monde et La Provence. Cela aide-t-il à l’écriture de romans policiers ? Justement, pourquoi ce passage au roman ? Le fait d’être critique littéraire n’est-il pas gênant en soi ?

Le métier de journaliste aide à beaucoup de choses. Notamment à écrire n’importe quoi, n’importe comment. Si je m’en tiens à ma seule expérience, il m’a donné le goût d’écrire, c’est certain (ce que ne vous donne pas forcément la fréquentation de l’Université) et d’écrire pour être compris par le plus grand nombre. Ce qui ne signifie pas qu’il faille se contenter d’un style relâché. Pour ce qui touche au « genre » policier, j’ai commencé par là (Pris au piège en 1981), parce que le roman policier exige un scénario qui tienne la route. Mobilisé par la presse quotidienne, je n’avais pas beaucoup de temps pour écrire « en dehors ». L’intrigue policière une fois bien ficelée me permettait de laisser ou de reprendre l’ouvrage là où je l’avais laissé sans avoir à attendre que « l’inspiration »… m’inspire.

Si je suis passé au roman, c’est un peu pour échapper à la frustration du journalisme où « un clou chasse l’autre » et où on n’a guère loisir d’approfondir et de revenir sur un sujet traité (sauf dans le cas du journalisme d’investigation, mais je n’ai jamais prétendu m’y livrer). Le roman fait de vous le maître d’œuvre de l’enquête et vous avez tout le temps d’aller au fond de votre projet.

Le fait d’être critique littéraire est très gênant quand on prétend devenir romancier. On a toujours peur de trouver chez les autres une idée qu’on a eue et qui a été traitée avant vous.

[4]3) On ne compte dans votre œuvre presque que du roman policier. Qu’est-ce qui vous plait dans ce genre littéraire ? Avez-vous des auteurs référents ?

Ce qui me plaît, c’est que sous son apparente désinvolture, c’est un genre qui demande de la rigueur et un « métier » d’enfer. Il est de bon ton dans une certaine presse « intellectuelle » de dénigrer cette sous-littérature. On a pourtant la preuve que les plus grands romanciers de notre temps sont des auteurs de polars ou de thrillers. Il y a faut une autre carrure, un autre savoir-faire et une autre imagination que pour pondre une autofiction nombriliste comme il y en a tant qui encombrent les rayons des librairies et détournent de la lecture le lecteur de bonne foi, qui lit pour y trouver du plaisir.

[5]4) De L’Enigme de la Blancarde jusqu’à la Somnambule de la villa aux Loups, votre série Les Nouveaux Mystères de Marseille paraît chronologiquement marquée comme si, dans le temps, elle prenait la suite des Mystères de Paris d’Eugène Sue. Le roman populaire se prêtait-il à une évocation du Marseille de la Belle Epoque ?

Je dirais même qu’il y est comme chez lui. C’est la grande époque de Marseille, le temps où cette ville avait une ambition et un avenir. Le contraire de la nôtre.

Ce n’est pas un choix de ma part d’avoir situé ces romans au début du XXème siècle. Il se trouve que L’énigme de La Blancarde est un roman basé sur un fait-divers réel qui avait eu lieu à la charnière XIXè/ XXè. Je ne pensais pas écrire une série, mais le succès du premier titre a poussé mon éditeur à me demander de continuer. Et je me suis trouvé « coincé » malgré moi à la Belle Époque si je voulais continuer. Mais je ne vais pas m’en plaindre.

[6]5) Dans tous les opus de la série, le fait divers sert de base à l’intrigue et dans la première de couverture de L’Enigme de la Blancarde on retrouve la Une du Petit Journal en date du 20 octobre 1907 où il est dit que l’Apache est la plaie de Paris. Qui sont les apaches marseillais ? Diffèrent-ils de ceux de la capitale ?

Il n’y a pas toujours un fait-divers vrai à la base de chaque épisode : c’est vrai pour La Blancarde, mais pas pour Double crime dans la rue Bleue, où l’histoire est inventée à partir de la Belle de Mai, ni pour Les diaboliques de Maldormé, ni pour Le guet-apens de Piscatoris qui n’a pas de base réelle. Parfois c’est un fait divers qui donne le déclic, mais il est complètement détourné (Le vampire de la rue des Pistoles, La somnambule de la Villa aux Loups). Quant aux Apaches de Marseille, on les appelait les Nervis, mais à part leur accent je ne pense pas qu’ils étaient été différents (côtés mœurs et morale) de leurs confrères parisiens (Voir Casque d’Or, le film de Becker qui aurait pu être tourné au Panier.

[7]6) A la différence du héros de polar contemporain, le vôtre a une vie classique, normale malgré le fait qu’il ait perdu son père très tôt et dans des circonstances mystérieusement dramatiques. Il pourrait être Monsieur tout le Monde si ce n’est que son oncle est le chef des flics de Marseille. Qui est Raoul Signoret ?

La plupart des héros de polars sont des supermen, dotés pouvoirs surhumains, des séducteurs irrésistibles dotés de capacités séminales inépuisables. J’ai pris le contre-pied. J’ai voulu que le mien soit un jeune homme « normal » avec une famille, un métier (reporter au Petit Provençal), une morale. Tout cela est voulu, assumé. Ce n’est ni James Bond, ni même pour rester dans l’époque Rouletabille. Il est seulement sympathique, courageux, intelligent (et amoureux de sa femme, ce qui le distingue carrément des autres).

[8]7) Parlons justement d’Eugène Baruteau, policier humaniste et amateur de bonne chère. En quoi ce personnage est-il presque aussi attachant et important que son neveu de journaliste ? Plus que le pandore, n’est-ce pas le père de substitution que vous avez-voulu privilégier ?

Baruteau joue auprès de son neveu Raoul le rôle de père de substitution, c’est vrai. Mais aussi celui de l’Auguste auprès du clown blanc. Du Capitaine Haddock auprès de Tintin. Il est  haut en couleurs, tonitruant, mais il sait être subtil. Il est le faire-valoir, mais aussi le complice affectueux (parfois de rival) du journaliste. Il est le compère de la comédie comme César auprès de Marius. C’est du contraste entre les deux natures que vient l’intérêt. On s’y attache autant qu’au héros, Raoul Signoret. Au début je l’ai conçu comme un personnage secondaire et peu à peu il a pris sa place. Le « couple » (ne voyez pas là une image sexuelle) ça fonctionne depuis que la littérature existe : Achille et Patrocle chez Homère, Roland et Olivier dans les romans de chevalerie, d’Artagnan et Planchet chez Dumas, Bouvard et Pécuchet chez Flaubert, ou Laurel et Hardy au cinéma (on pourrait citer maintes « paires » parmi les artistes actuels, la liste serait longue)

[9]8 ) Avec Le Secret du docteur Danglars, vous faites une incursion dans le monde des anarchistes en imaginant l’exécution du compagnon propagandiste par le fait Berano. L’évènement tourne à l’émeute populaire et à l’affrontement avec la police. Le milieu anarchiste marseillais est particulièrement dynamique durant les années 1890. Vous êtes-vous inspirés de faits réels pour cette fantastique scène ?

Non je l’ai imaginée à partir de vraies exécutions d’anarchistes qui ont eu lieu entre 1880 et la grande Guerre. Il y en avait plein les journaux à l’époque.Je savais que les exécutions avaient lieu en public, notamment devant la prison Chave (angle rue George). C’est le prétexte à faire rencontrer mon héros avec un authentique anarchiste. Parce que je ne pouvais pas consacrer une série romanesque à la Belle Époque sans qu’il y soit question à un moment ou l’autre d’anarchisme (pas plus que de tables tournantes ou de somnambulisme, les grandes passions de toutes les classes sociales)

[10]9) Vous imaginez l’illégaliste Berano dans la bande dite des Travailleurs de la Nuit. Vous reprenez même l’histoire du fameux coup du Mont de Piété de Marseille du 31 mars 1899. En quoi Alexandre Jacob est-il à ce point remarquable ?

Pour faire simple, Jacob est remarquable parce qu’il ne prend jamais le prétexte de l’anarchie pour justifier sa délinquance. Il « récupère » tout ce que les bourgeois ont volé pour le redonner « à la Cause ». C’est tout le contraire d’un « bandit de l’anarchie » comme était Jules Bonnot qui volait à son seul profit.

[11]10) Nous nous amusons dans les colonnes du Jacoblog à démonter les mécanismes qui font du voleur anarchiste l’inspirateur de l’écrivain Maurice Leblanc pour la création du gentleman cambrioleur. Alexandre Jacob est-il Arsène Lupin ?

Je sais que Leblanc s’en est toujours défendu. Ce qui tendrait à prouver qu’il avait quelque chose à nous cacher. Mais enfin il est difficile de voir la main du hasard quand on sait que Maurice Leblanc était au banc de la presse au tribunal d’Amiens où était jugée la bande des Travailleurs de la Nuit dont le chef était Marius Jacob. Trois mois après paraissait L’arrestation d’Arsène Lupin, premier tome d’une longue série. Comme Jacob, Lupin est généreux, ridiculise la police, la justice, la bourgeoisie, a un sens aigu de l’humour et vole volontiers au secours des opprimés. La seule différence est que jamais Lupin ne se réclame des idées anarchistes. Leblanc à détourné le personnage. Peut-être pour mieux dissimuler son « larcin » ?

Bibliographie de Jean Contrucci :

tirée de http://jeancontrucci.free.fr/index.html [12]

Romans :

Les nouveaux mystères de Marseille – (JCLattès)

–          LA SOMNAMBULE DE LA VILLA AUX LOUPS (2011)

–          L’INCONNU DU GRAND HÔTEL (2010)

–          LE VAMPIRE DE LA RUE DES PISTOLES (2009)

–          LE GUET-APENS DE PISCATORIS (2008)

–          LES DIABOLIQUES DE MALDORMÉ (2007)

–          LE SPECTRE DE LA RUE SAINT-JACQUES (2006), Prix des Marseillais 2006. Prix décerné par les visiteurs du Carré des Ecrivains.

–          DOUBLE CRIME DANS LA RUE BLEUE (2005), Prix Rompol 2005 du site le Rayon du Polar

–          LE SECRET DU DOCTEUR DANGLARS (2004)

–          LA FAUTE DE L’ABBÉ RICHAUD (2003), Prix du roman policier 2003 de l’Académie de Marseille

–          L’ENIGME DE LA BLANCARDE (2002), Prix Paul Féval 2003

COMME UN CHEVAL FOURBU (L’Ecailler du Sud) (Réédition juin 2007)

PRIS AU PIEGE (Autres Temps – 2002)

LA CATHEDRALE ENGLOUTIE (Grasset – 1992)

UN JOUR, TU VERRAS (Belfond – 1987 ;  J’ai lu , n° 2479, 2000)

COMME UN CHEVAL FOURBU (Belfond – 1984 ; Le grand Livre du Mois)

LA POISSE (Nouvelles Editions Baudinière – 1981 ; Eurédif (PlayBoy, n°14) – 1984) adapté pour la télévision (France 2) sous le titre « Pris au piège » – Grand Prix International au festival du film policier de Cognac. Réédité sous le titre Pris au piège

Monographie :

BOUCHES-DU-RHÔNE (Coll. Département-Poche – LEC édition – 2002)

Livre d’art :

MARSEILLE AU FIL DE LA PLUME, sur des dessins de Guy TOUBON Atelier Vis-à-Vis (2000).

Histoire :

HISTOIRE DE MARSEILLE ILLUSTREÉ (Pérégrinateur Editeur – 2007).

MARSEILLE, 2600 ANS D’HISTOIRE écrit avec Roger Duchêne (Fayard 1999)

ET MARSEILLE FUT LIBERÉE… (Autres Temps – 1994).

Livre pour la jeunesse :

PARLE-MOI DE MARSEILLE (Autres Temps -1999)

Chroniques :

MARSEILLE DES FAITS DIVERS (Autres Temps – 2005)

MARSEILLE DE LA BELLE EPOQUE (Autres Temps – 2005)

ÇA S’EST PASSÉ À MARSEILLE – (Autres Temps – 1992-1998), Grand Prix Littéraire de Provence.

Album :

CÔTES DE MÉDITERRANÉE VUES DU CIEL (1997) sur des photos de Yann Arthus Bertrand (Le Chêne)

Nouvelles :

MORT D’UNE PERRUCHE BLEUE (2003) in « Meurtres sur un Plateau » (L’Ecailler du Sud)

SUITE PROVENÇALE (La Table Ronde – 1996), prix Louis Brauquier 1996 de l’Académie de Marseille

Feuilleton :

LES REBELLES DE PROVENCE (1993) Feuilleton paru dans le Provençal durant l’été 1993, écrit à quatre mains avec Jean Boissieu, à la manière des feuilletonistes : 300 lignes par jour.

Biographie :

EMMA CALVÉ, la diva du siècle, (Albin-Michel -1989 ; Le Livre de Poche, 1994)