- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

La cellule

[1] [2]A l’occasion de la sortie des Ecrits de Jacob en 1995, l’orchestre Les crabes à la Mer (allusion fort probable à la chanson Cayenne de Parabellum, le crabe désignant dans l’argot le gardien de prison) a enregistré, pour la première fois depuis sa création, la chanson La Cellule qu’avait publiée Germinal, le journal anarchiste d’Amiens, dans son numéro 14 en date du 23 avril au 07 mai 1905. Le procès des travailleurs de la Nuit est clos depuis environ un mois. Jules Clarenson, l’auteur du texte et, complice de l’honnête cambrioleur pour le fameux coup de la rue Quincampoix (06 octobre 1901), y a été condamné à cinq ans de travaux forcés, peine ramenée par la cour d’assises de Laon le 1er octobre de cette année à cinq ans de réclusion assortis de la relégation.

Cette charge contre l’institution pénitentiaire et les souffrances qu’elle fait endurer aux condamnés, considérés dans leur nature humaine par le fou chantant dont nous avons mis en ligne la biographie le 09 avril 2008, décrit les moyens d’une mort carcérale lente. La cellule, c’est ainsi cette guillotine sèche qu’a si bien connu Le Baron au point de faire remarquer à son lectorat l’oubli du vieux Dante. La cellule, c’est en fin de compte la folie ou la mort qui guettent tout condamné : « Cellule ! Isolement ! C’est à dire la tombe, un long voile de deuil vous couvre tout entier ». De là, l’espoir rédempteur de l’évasion. Mais, après avoir échoué en 1918, Jules Clarenson tente une seconde Belle le 17 juillet 1927. Arrêté et réintégré le 19 de ce mois, il meurt à Saint Jean du Maroni le même jour. Le dossier de bagne du relégué, matricule 9609, ne précise pas les conditions de ce décès pour le moins très ambigu.

La cellule

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La Cellule

De quel cerveau féroce, affolé par la rage,

De quel esprit sadique, affreux, dénaturé

Naquit l’intention terrible de la cage

Où l’homme enferme l’homme et le tient emmuré ?

Ce n’était pas assez des prisons ordinaires,

Des postes, des dépôts, bagnes, réclusions,

Et l’on édifia les maisons cellulaires

Pour compléter l’œuvre d’abomination !

Cellule ! Isolement ! C’est à dire la tombe,

Un long voile de deuil vous couvre tout entier

Lorsqu’on franchit le seuil de la cellule infâme !

Là vous n’existez plus ; de l’homme il n’est plus rien.

Vous êtes mort-vivant ; vous êtes corps sans âme.

Aucune impression, aucun bruit, aucun lien

Ne vous joint aux humains. Si ! reste la pensée,

Le cuisant souvenir qui du matin au soir

Trouble votre cervelle, ô torture insensée,

Peuple votre sommeil d’effrayants songes noirs

La mémoire qui s’efface et la raison qui sombre

Vous suggère parfois des idées de mourir.

Mais votre volonté s’en va ; s’éteint dans l’ombre ;

Et l’on n’a même plus la force d’en finir.

Le vieux Dante avait cru dans son enfer terrible

Mettre avec les anciens, les supplices nouveaux.

Il avait oublié, de tous le plus horrible :

L’atroce isolement, les cellules tombeaux