- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 22

[1]Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)
– Merci. Je ne veux ni du mot ni du chiffon. Les oripeaux, seraient-ils concrets, seraient-ils abstraits, m’ont toujours dégoûté, répondis-je en regardant l’avocat et le député, car mes gardiens ne m’auraient sûrement pas compris.
– C’est égal ! Heureusement qu’il n’y a pas beaucoup d’hommes de votre espèce, me dit le brigadier avec mépris.
– Malheureux ! que dites-vous là ? m’écriai-je ironiquement. Vous rendez-vous compte de la portée de vos paroles ? Ne savez-vous pas que vous faites appel à la famine, pour vous, en disant cela ? Vous tous, gendarmes, avocats, législateurs, gardiens de prison, policiers, magistrats, huissiers, etc. ; vous tous, que je classe parmi les stercoraires, insectes parasites dont l’asticot est un représentant du genre ; vous tous qui ne pouvez subsister que dans une société où les délits, les crimes sont fatals, oubliez-vous que sans des bandits comme moi, les honnêtes gens comme vous ne pourraient vivre ? Quelle calamité pour vous, ô honnêtes gens ! si dans une nuit tous ceux que vous appelez malfaiteurs vous faisaient la blague de devenir honnêtes. Quel affreux réveil ! Que de cris, que de lamentations : «Adieu ma retraite, adieu mes appointements, adieu ma médaille», diraient les uns. «Adieu ma clientèle, adieu mes honoraires», diraient les autres. Ce serait pire, ma foi, que la disparition des sardines sur les côtes de Bretagne…
– Paradoxes ! murmura le député.
– Votre exagération est cause de votre erreur, me dit l’avocat. Si nous sommes juges, si nous sommes avocats, si nous sommes gendarmes, c’est parce qu’il y a des malfaiteurs ; mais si les malfaiteurs venaient à disparaître, nous ne nous récrierions pas pour cela ; nous en serions, au contraire, très satisfaits. Nous ne souhaitons que cela, d’ailleurs…
– C’est à quoi tendent tous nos efforts, approuva le député.
– Vraiment ! m’écriai-je. Vous m’étonnez beaucoup, car il ne tient qu’à vous de les voir couronnés de succès.
– Et comment ? demanda M. Canache.
– Mais c’est bien simple ; en supprimant la cause de ces crimes, de ces délits : la propriété privée. Quels sont les délinquants, les malfaiteurs ? Ceux qui ne possèdent rien. Quels sont les plaignants, les honnêtes gens ? Ceux qui possèdent tout. Supposez un banquet de dix hommes où deux d’entre eux s’accaparent toutes les victuailles, il est certain que les huit autres, poussés par la faim, par le plus pressant des besoins, feront la guerre aux deux voleurs pour avoir leur part de nourriture. Il en est de même pour le banquet de la vie où les uns ont tout et les autres rien. Il est donc fatal, inévitable que les expropriés fassent la guerre aux propriétaires. Que ceux qui possèdent renoncent à leurs propriétés qui, en vérité, ne sont que le fruit du vol, de l’usurpation, et la guerre sociale disparaîtra, comme s’éteint une lampe faute d’huile.
– Oui, j’entends. Vous êtes communiste. «Tout à tous. Un pour tous, tous pour un. Produire selon ses forces, consommer selon ses besoins…» Je connais ça aussi bien que vous, allez, me dit le député.
– Je n’en doute pas…
– Mais le communisme est impossible. C’est une utopie, reprit-il. De tous temps, à toutes les époques, il y a eu des rêveurs, des utopistes. C’est Platon, Fénelon, l’abbé de Saint-Pierre ; plus récemment Babeuf, Fourier, Cabet et tant d’autres dont les noms m’échappent. Mais ce sont là des rêvasseries, des théories imaginaires dont la réalisation n’est pas possible… Je ne veux pas dire pour cela que tout soit pour le mieux, non, des réformes s’imposent ; mais de là à supprimer la propriété, il y a loin. La propriété est la pierre angulaire sans laquelle nulle société ne saurait subsister : elle est donc inexpugnable, pour me servir de cette expression.

(A suivre).

Nous rappelons qu’on peut se procurer à GERMINAL les numéros parus des « Souvenirs de Jacob ».