- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Ecrits d’outre-temps

[1]Les quelques mots qui suivent, et ceux des trois autres articles à venir, n’ont jamais été publiés, ni même mis en ligne sur la toile. Et pour cause. C’est l’histoire d’une découverte. Un peu comme dans les livres. Un livre, c’est toujours une découverte. Au propre, comme au figuré. Des pages qui tournent. Des feuilles qui tombent. Janine, il y a peu, a pris un livre dans sa bibliothèque. Particulièrement imposante, la bibliothèque de Janine et Jean-François Amary. On pourrait même se croire dans une annexe d’un centre de recherche sur l’anarchisme. Et Janine a pris un livre. Et des feuillets en sont tombés. Des lignes écrites par son ancien mari Robert, décédé en 1996. Des lignes joliment posées sur un cahier d’école dont il ne reste que ces quelques pages. Des poèmes, des pensées, des souvenirs venus d’outre-temps. Au mieux, pouvons-nous affirmer que Robert Passas ne les a pas couchés avant le 29 août 1977, jour du décès de sa mère dont il fait allusion. Dans ces lignes, il se souvient de son vieil ami Alexandre Jacob.

Robert Passas en dresse un portrait haut en couleur. On y sent plus que de l’admiration. Mais il ne manque pas non plus de faire son sort aux propos d’une biographie – celle de Bernard Thomas en 1970 – estimée insultante pour sa femme d’alors, « J. », et aussi pour lui. Saine rectification qui vient appuyer notre article Bernard, Marius, Robert et Josette [2]. Mais l’instit libertaire retient encore que son « ami parfait » ne croyait plus en la perfectibilité de l’espèce humaine et, le 24 août d’une année passée, il commence par se souvenir de sa première rencontre.

Jacob dans son jardin [3]Ecrits d’outre-temps

24 août

« L’homme le plus puissant est celui qui est le plus seul »

Ibsen

Ou le temps en arrière

Reuilly (Indre). C’est hier, à 18h30, que j’ai fait sa connaissance. Retour des Pyrénées à bicyclette, après avoir longé la côte atlantique et revu, à Jarnac, mes copains de la « Tour de Feu », je venais tout droit de la patrie de Jean Giraudoux, Bellac. C’est donc hier que, pour la première fois, je l’ai rencontré au hameau de Bois Saint Denis, dans sa maisonnette du Berry, avec le jardinet devant. Son accueil fut franc, attentionné, comme sa petite maison aux volets verts.

Parlant de sa vie tumultueuse, il a dit : « Si j’avais cru mal faire, j’aurais commencé par ne pas le faire. »

Aujourd’hui, levé à 8 heures 30. C’est jour de marché à Reuilly. Il m’emmène, bonhomme, dans sa vieille Renault. Il dit : « Toutes les opinions sont bonnes, c’est-à-dire qu’elles n’ont aucune valeur ».

Au retour, attente d’une camarade anarchiste. Encore une fois, il a la parole, qui est riche de passé.

« Ne pas réfléchir une fois l’action engagé.  La réflexion tue le geste. »

« Tout est violence dans a vie. »

« On se repend d’avoir raté une chose, non de l’avoir commise. »

« Créer une mémoire. »

C’est  14 heures. Déjeuner. Dialogue à trois, sur le climat libertaire.

17 heures. Coupures de journaux relatives à Dieudonné. Soirée sur l’aventure animale. Ecritures. Coucher à 23 heures 30.

Les yeux de Jacob 1954 [4]25 août

Ou le temps arrêté

Lever à 8 heures. Nuit de pluie ; temps humide. Ecritures (suite) ; radio, lecture. Il dit :

« Comme les arbres, l’homme prend des nœuds avec l’âge. »

« La religion est une gendarmerie. »

A propos du « soldat inconnu » : « S’il pouvait parler celui-là, il leur boterait les fesses. »

L’après-midi, il dit encore :

« Les moments les plus douloureux sont parfois de bons moments. »

« L’expérience ne sert à rien. »

« Il faut digérer les évènements. »

Nous décidons de nous tutoyer. Puis, alors que nous nous connaissons depuis seulement l’avant-veille, il me fait un cadeau généreux, immense : les lettres qu’il écrivait à sa mère, du bagne.

Dîner. Discussion autour du suicide. Coucher à 23 heures 30.

[5]26 août

Ou le temps entre parenthèses

C’est dimanche. Vent ; temps vif. Matinée à Reuilly. Emplettes. Retour : radio, lectures, échanges. Pluies dans l’après-midi. Tandis qu’il prend un peu de repos, je feuillette son Schopenhauer :

« Ce qui me rend si agréable la société de mon chien, c’est la transparence de son être. Mon chien est transparent comme un verre. »

Son chien à lui s’appelle Négro. C’est un cocker noir qui tourne autour de ses seize ans. Il demeure son dernier compagnon.

18 heures. A propos de la force en soi, de l’idiosyncrasie humaine, le parallèle des dahlias :

« Que n’avons-nous besoin de fleurir pour ce vieux ! »

Mais, qu’il le veuille ou non, il faut qu’il s’épanouisse.

Visite du père Malbète, un paysan du voisinage. Puis, soirée – la dernière ! – Final du « concerto » de Mozart pour deux pianos et « intermezzo », de Lalo. Coucher à 23 heures.

27 août

Ou le temps hors du temps

Lever à 8 heures. Temps neutre. Petit déjeuner de philosophie : déterminisme universel et hérédité. Tournée du facteur, avec le numéro 35 de « Défense de l’Homme ». J’attends 11 heures. Séparation. Je reprends ma bicyclette, direction Bourges.

J’ai conscience, en m’en allant, de quitter l’homme le plus extraordinaire que, de ma vie, il me sera donné de rencontrer.

La suite : dimanche 11 avril 2010.