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Le contretemps de Paul

[1]Une fois encore le nouveau numéro de la revue A Contretemps [2] brille par les analyses développées. Parmi elles, on pourra se délecter des fumeux rapports d’indicateurs policiers, répondant aux doux et très anonymes noms de Caraman, Guillaume et Omnibus, chargés par la préfecture de police de Paris de la surveillance du très remuant Enrico Malatesta. Ce dernier donne alors à la revue qu’anime Freddy Gomez un non moins intéressant point de vue sur un des ses « vieux amis » : Pierre Kropotkine. Passent alors à la moulinette d’une critique aigüe et affinée, comme il est de tradition dans cette feuille ne vivant que des abonnements parce qu’ « A Contretemps n’a pas de prix, juste des frais [2] »,  nombre de livres ayant pour la plupart l’anarchie en toile de fonds. Et dans ce cadre, A Contretemps [2] fait la recension de l’Enfer du bagne de Paul Roussenq réédité chez Libertalia.

 

[3]A Contretemps [2]

N°36

Janvier 2010

Notes de lecture

p.27 : Paul Roussenq, L’Enfer du bagne, préface de Jean-Marc Delpech, postface d’Albert Londres, illustrations de Laurent Maffre, Paris, éditions Libertalia, 2009, 136p.

Il existe de Jacob Law à Alexandre Jacob, en passant par Dieudonné, une littérature anarchiste du bagne. C’est indiscutablement à ce genre qu’appartiennent les essentiels souvenirs de Paul Henry Roussenq (1885-1949), débarqué à l’île Royale (Guyane) le 13 janvier 1909 et libéré de l’enfer tropical fin 1932. En vingt et un chapitres d’une grande concision, le matricule 37664 nous livre une description minutieuse de la vie des bagnards sans faire l’impasse, hormis les tentatives d’évasion, sur aucun sujet : le « mécanisme » du bagne, les gardes-chiourme, le régime alimentaire, la mort au travail, l’homosexualité, le système D, la « justice » interne, les cachots, la médecine du camp, etc. Le tout est décrit presque cliniquement et avec un authentique sens de la nuance. Ainsi, il arrive parfois que l’on croise, dans ces pages nées du vécu d’ »une extrême oppression, quelques braves types, y compris chez les « chaouchs ». De même, nous dit Roussenq, si « certains médicastres manquaient totalement à leurs plus élémentaires devoirs », quelques blouses blanches, comme le docteur Rousseau, manifestaient un grand sens de l’ »humanité. Cette volonté de dire l’horreur telle qu’elle était sans en rajouter dans l’excessif fait sans doute la force de ce témoignage, dont une autre singularité tient à la capacité d’abstraction d’un auteur dont l’ego n’effleure que rarement. Chez l’anarchiste Roussenq, en effet, on ne ressent pas d’avantage de besoin de reconnaissance que de désir de notoriété. Au vu de la littérature carcérale, c’est assez rare pour être signalé. De même, mais sur un autre plan, cette fois, il convient de signaler que ce témoignage chute sur une étrange repentance où cet anar de derrière les fagots s’en remet à Dieu pour sauver son âme. C’est que, publié huit ans après la mort de Roussenq chez le très catholique éditeur F.Pucheu, le témoignage a été chrétiennement retouché. « Fort heureusement pour le lecteur des lignes qui suivent, écrit Jean-Marc Delpech dans une remarquable et savante mise en contexte de l’ouvrage, ce ne sont là que des peccadilles. Car le texte de Roussenq ne pâtit pas des manipulations d’un obscur curaillon ». Au contraire, dirions-nous, elles prennent, avec le temps, valeur de curiosité littéraire. Et puis Roussenq avait l’habitude des manipulations puisqu’il fut libéré, rappelons-le, à la suite d’une vigoureuse campagne du très stalinien Secours rouge international, qui, comme de bien entendu, tenta, sitôt rentré en France, de l’instrumentaliser. C’était mal connaître cet « incorrigible » Roussenq, qui sut dire « merde à Vauban » et « merde à Staline » avec la même force. On ajoutera à sa place, mais sûr qu’il nous aurait donné raison : « merde à la calotte ! ».

Gilles Fortin