- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

ACCUMULATION des richesses (Encyclopédie anarchiste)

logo livre anarchiste [1]n. f. (lat. accumulare). 

C’est l’action qui consiste à accumuler et qui a pour résultat d’amasser, d’entasser, d’amonceler les richesses. Il y a là un phénomène économique que détermine automatiquement le régime capitaliste. La situation agricole, industrielle, commerciale et financière qui caractérise ce régime a pour conséquence de dépouiller la fraction la plus nombreuse de la population au profit d’une infime minorité. C’est entre les mains de cette poignée d’individus de plus en plus scandaleusement enrichie que se produit cette accumulation des richesses. « La richesse et la misère, écrit l’économiste J.-B. Say, s’avancent sur deux lignes parallèles ». C’est ce phénomène que Karl Marx a remarquablement constaté et que l’auteur du Capital appelle la concentration capitaliste (voir Concentration). Des fortunes fantastiques s’édifient sur le détroussement systématique de la masse qui produit et qui consomme. Plus le régime capitaliste se développe, plus il engendre, par le système des profits additionnés, cette accumulation des richesses.

Déjà spoliée par l’employeur d’une partie importante du fruit de son travail, la classe ouvrière l’est encore par la clique commerciale et si, après avoir subi le prélèvement du rapace dont il est le salarié et du mercanti qui lui vend au plus haut prix ce dont il a besoin pour s’alimenter, se vêtir, se loger et se récréer quelque peu, il reste, pur hasard, quelques sous au travailleur, ces faibles disponibilités sont happées par la finance ou dévorées par l’Etat. En sorte que toutes les richesses créées par le Travail ne restent jamais à la disposition et entre les mains des Producteurs, mais passent immanquablement dans les coffres-forts des improductifs.

C’est ainsi que d’immenses trésors, de prodigieuses ressources, d’incalculables réserves, dus à l’effort archiséculaire de la multitude qui peine et vit misérablement, se trouvent aujourd’hui en la possession d’une minorité de flibustiers, d’aigrefins et de profiteurs – la propriété, c’est le vol (Proudhon) – qui, de génération en génération, se transmettent constamment accrues, les richesses ainsi accumulées.

Ce fait d’absorption progressive de toutes les richesses peut être comparé au mouvement d’une pompe aspirante et foulante, qui serait actionnée par quelques privilégiés et fonctionnerait au profit exclusif de ceux-ci. Ce que le mouvement de cette pompe aspire, c’est la totalité des richesses enfantées par les prolétaires des deux sexes, de tous âges et de toutes nationalités ; ce que le mouvement de cette pompe refoule, c’est la masse de ces prolétaires qu’il rejette systématiquement dans l’enfer d’un travail de brutes et d’une existence de forçats.

Les conséquences de cette odieuse accumulation des richesses sont particulièrement saisissantes dans les grands centres qu’on a appelés les cités tentaculaires. (Voir le livre de Emile Verhaeren sur ce sujet.) L’opulence y côtoie le dénuement ; l’oisiveté y avoisine le travail forcé ; les rires et les chants s’y mêlent aux larmes et aux cris de détresse ; l’orgie tue les uns et les privations assassinent lentement les autres.  » Il y a, rien qu’en France, écrivait le Dr Bertillon, il y a 25 ans, plus de cent mille personnes de quinze à soixante ans qui, chaque année, meurent de la misère et de ses suites. »

Si on tient compte de la quantité d’enfants qui succombent au manque d’hygiène, à l’insuffisance ou à la mauvaise qualité des aliments qu’ils absorbent, qui s’étiolent lentement dans d’infects taudis sans air, qui, malades, sont privés des soins qui leur seraient nécessaires (voir la brochure de Kropotkine :  » Aux Jeunes Gens  » et, consulter les tables de mortalité enfantine) ; si on ajoute à ce tableau funèbre la quantité de vieillards qui s’acheminent vers la tombe plus tôt qu’ils ne le feraient s’ils possédaient l’aisance et la sécurité auxquelles toute une vie de labeur et de privations leur donne un droit incontestable ; si on additionne toutes ces victimes d’une criminelle organisation sociale, on peut hardiment tripler, quadrupler, quintupler ce chiffré de cent mille affirmé par un technicien de la mortalité qui n’est pas des nôtres.

Et pourtant, il existe assez de maisons pour que tout le monde soit convenablement abrité, assez de chaussures et de vêtements pour que personne n’aille pieds nus et en guenilles, assez de denrées alimentaires pour qu’il n’y ait aucun estomac vide et affamé.

Mais toutes ces richesses sont aux mains et à la merci de quelques-uns qui les ont accumulées. Ceux-ci peuvent crever d’indigestion, tandis que d’autres meurent d’inanition ; ils peuvent se demander dans quelles orgies extravagantes et insensées ils dépenseront leur superflu, tandis que d’autres s’allongent chaque soir sur leur misérable grabat en se demandant comment ils vivront le lendemain.

Tout, tout, tout aux premiers ; rien, rien, rien aux derniers.

C’est épouvantable, mais il en est ainsi.

Il était fatal que, grâce aux progrès merveilleux de la science appliquée à l’agriculture et à l’industrie, que, grâce aux découvertes de plus en plus admirables des techniciens et des inventeurs, la somme des richesses mises, par le Travail, à la disposition de l’humanité progressât sans cesse et il est normal que cette somme ait atteint aujourd’hui un niveau extrêmement élevé. Mais, ce qui est stupéfiant et inadmissible, c’est que les résultats féconds de ce développement de la richesse aient été confisqués par quelques accapareurs, au détriment de la collectivité humaine ; ce qui est révoltant, c’est que la structure économique et politique de la société bourgeoise fatalise un état de choses aussi profondément criminel ; ce qui est intolérable, c’est que cette confiscation de la richesse publique continue à s’opérer méthodiquement, systématiquement, avec la complicité des Pouvoirs publics théoriquement chargés d’entraver et d’interdire cette confiscation ; ce qui est intolérable, c’est que cette accumulation des richesses soit favorisée et garantie par la loi qui couvre ce crime au lieu de le rendre impossible. Il est vrai qu’il serait insensé de demander au Législateur et à la Force publique de réprimer I’accumulation des richesses, puisque cette accumulation est inhérente au régime social que le Législateur consolide et justifie et que la Force publique a pour mandat de soutenir.

Il est vain de s’indigner contre le fait économique en question sans s’indigner, du même coup et avec plus de véhémence encore, contre le régime social qui le fatalise : on ne peut efficacement combattre l’effet sans s’attaquer à la cause et c’est folie que de vouloir détruire l’effet sans en détruire la cause.

C’est, néanmoins, ce que font, absurdement, tous ces gens qui violemment s’élèvent contre l’accumulation des richesses dont pâtit la masse et qui, nonobstant, se font les défenseurs du milieu économique qui la produit nécessairement.

L’Anarchisme ne se borne pas à enregistrer le paupérisme d’en bas auquel aboutit l’accumulation des richesses en haut ; il en recherche la cause, il la dénonce, il la combat et il travaille à l’abolir, il enseigne à tous les déshérités qu’ils ont le devoir d’arracher les richesses à ceux qui, par la ruse, l’exploitation et la violence s’en sont emparés et que celles-ci doivent devenir et constituer l’héritage inaliénable et indivisible de tous les êtres humains.

Sébastien FAURE.