- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Jean Fagot

un fagot, dessin de Georges Jauneau 1928 [1]Nous ne connaissons pas l’auteur de cette chanson écrite vers1912. Certains ont pu l’attribuer au bagnard Miet. Elle est publiée en 1924 par les soins d’Antoine Mesclon mais ne semble pas avoir connu un certain succès. Les bagnards préfèrent de toute évidence entonner le Chant de l’Orapu. Les éditions L’Insomniaque l’incluent une première fois, en 2000, dans le cd accompagnant le livre Au pied du mur, anthologie de textes sur la prison, puis, en 2004 dans le cd de la réédition des Ecrits de Jacob. Elle est donc contemporaine du séjour de l’honnête cambrioleur aux îles du Salut et, par conséquent, illustre les souffrances endurées par Barrabas et tous les autres transportés. Si elle verse dans une vision fataliste et partiale de la vie du bagnard, elle offre néanmoins plusieurs thématiques. Les surveillants militaires deviennent ici des « chaouchs » d’origine corse, brutaux, haineux et profitant de la supériorité que leur confère leur situation. La chanson aborde aussi la faim, la fatigue, l’homosexualité, la soumission, la délation, la violence et la mort, sans oublier bien sûr ce à quoi a été condamné le bagnard : les travaux forcés. Cette complainte, qui s’inscrit dans le contexte de critique généralisée du bagne, sonne comme une condamnation sans appel de l’inhumanité de l’institution pénitentiaire. Jean Fagot implore en conclusion une vraie peine de mort plutôt que cette hypocrite guillotine sèche. L’envoi de condamnés en Guyane cesse en 1938. Le bagne disparaît définitivement au début des années 1950.

pochette du cd La Belle, Au pied du mur, L\'Insomniaque, 2000 [2]

Le transporté

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http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/wp-content/uploads/le-transporté.mp3 [3]

C’est Jean fagot qu’on me surnomme,

J’suis un ancien.

Oui, j’ai vu tomber plus d’un homme

Qu’était malin.

Maintenant que je sens que je calanche,

J’veux vous conter

Ce que j’ai vu depuis qu’sur la planche

J’suis l’transporté.

Il faut nous voir quand on turbine

A s’faire crever,

Le Corse armé d’sa carabine

Pour nous braver.

L’insulte aux lèvres, il nous bouscule.

Fatalité !

Coucher la tête sous la férule,

V’là l’transporté.

La faim qui nous poursuit sans cesse,

O sort hideux !,

Fait naître plus d’une bassesse

Parmi les gueux.

Le ventre creux fait la bourrique,

Quel sale métier !

Il vendrait son père pour une chique,

Le transporté.

Même le plus fort fait des courbettes,

C’est effrayant.

Car pour dresse les fortes têtes,

Y a le repoussant !

Pour un seul mot, on nous terrasse

Sans hésiter.

C’est comme ça qu’on se débarrasse

Du transporté.

Faut pas songer à sa misère.

Ah ! Quel tableau !

Comme tout l’monde est célibataire,

On cherche la peau

D’un gars qui bientôt s’abandonne

A volupté.

C’est pour un mâle qu’il se passionne

Le transporté.

Plus d’un forçat, quand la nuit tombe,

Triste et rêveur,

Voudrait voir s’entrouvrir la tombe

De sa douleur.

Pourquoi ainsi souffrir sans cesse ?

Humanité !

Supprim’le donc ! Vaut mieux qu’il crève !

Le transporté.