- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

La nécro du Canard

\ [1]Le Canard Enchaîné est la seule  feuille nationale à faire l’annonce de la mort de celui que le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français de Jean Maitron qualifie en 1972, à tort ou d’une manière toute subjective, de « dernier des grands voleurs anarchistes ». Localement, La Marseillaise, à moins que ce ne soit l’Echo du Berry ou La République du Centre, rend compte, le 1er septembre 1954 de l’inhumation à Reuilly de l’ « anarchiste de la Belle Epoque ». La presse libertaire (Le Monde Libertaire, L’unique et Défense de l’Homme) évoque par l’entremise de Pierre Valentin Berthier, de Robert Passas et d’Alexis Danan le compagnon trop tôt disparu. La nécro du Canard se trouve à la rubrique Faits Divers. Elle est signée, le 08 septembre 1954,  Arsène Ex Lupin. « Dernier hommage d’un connaisseur » pour Bernard Thomas qui reconnaît tout de même que « la signature n’était pas de circonstance » (Les vie d’Alexandre Jacob, p.360). Le second biographe de l’anarchiste, bien introduit dans l’équipe du Canard Enchaîné, nous révèle alors le nom de l’auteur qui se cache derrière ce pseudonyme lupinien : « C’était avec Clément Ledoux, Jérome Gauthier et Valentine de Coin-Coin l’une (des signatures) de Pierre Chatelain-Tailhade, neveu du poète anarchiste ». Si le titre, « Un Homme » sonne comme une évocation virile du passé aventureux de Jacob, l’article, malgré quelques erreurs, lui rend finalement hommage. Et, derrière une fausse et ironique condamnation des pratiques illégalistes de la fin du XIXe siècle, dont l’auteur ne peut que constater l’échec, Arsène Ex Lupin n’en n’espère pas moins en conclusion une renaissance de l’idéal libertaire et la reconnaissance par les siens du défunt voleur en retraite.

 

logo du Canard Enchaîné [2]Le Canard Enchaîné

08 septembre 1954

Faits divers

UN HOMME

L’humble corbillard chemine.

Des passants se découvrent.

Ils n’auraient sûrement pas salué, de son vivant, celui qu’on emmène vers la fosse. Pourtant, c’était quelqu’un.

Il avait tué, volé.           ,

Je dis comme vous : c’est vilain. Les châteaux ni les cathé­drales ne sont faits pour qu’on les pille ; les riches ni les gen­darmes pour qu’on fasse sur eux des cartons.

D’abord, c’est défendu. Ensuite, c’est un jeu de dupe. La Société propose à l’honnête homme d’assez belles occasions de faire, avec son beurre, une carrière de tireur d’élite, pour qu’on ne verse pas dans le banditisme illégal.

Jacob y avait versé.

Généralement, ce genre d’histoire s’achève avec la nuit, dans l’intimité – stricte – de messieurs officiels, mal rasés, vêtus de sombre et plus pressés que leur client d’en finir.

Alexandre Jacob, lui, y avait coupé … Cela se passait en 1902. Convaincu de vols à main armée, de meurtre et d’assassinat, traduit devant les Assises de la Somme, il n’avait écopé que du bagne à perpète. Un miracle ? Non. Simple hommage, en passant, de MM. les jurés, au désintéressement de ce décon­certant criminel : jamais Jacob n’avait volé pour lui. Les tré­sors des églises et ceux des beaux châteaux, il avait tout donné, tout « restitué » aux pauvres et a. ses frères d’Idée, les anarchistes d’alors.

Ce fut donc l’île de Ré.

Puis, 1a cage, à fond de cale du « Lamartinière ».

Puis les îles du Salut.

Là, pour la seconde fois, sciemment, délibérément, Alexandre Jacob défie la guillotine.

Il reconnaît un surveillant du bagne : ce chaouch s’était trouvé au Dépôt de l’île de Ré, en même temps que Jacob. Il avait eu, à Ré, une goguenarde façon de témoigner sa supériorité sociale au prisonnier : en crachant, chaque jour, dans la soupe de celui-ci. En souvenir de quoi Jacob le tue. Froidement.

Ce ‘n’est pas fini.

Cinquante-deux ans plus tard (dont 26 de Guyane), Alexandre Jacob allait régler un dernier compte : le sien. Il s’est suicidé, l’autre semaine, au moyen d’une piqûre. On a le droit de supposer qu’il ne s’est pas tué sans jugement.

Je ne demande à personne de saluer cette mémoire ni ce caractère.

Pourtant, s’il se pouvait qu’apportée par une brise, une graine perdue profitât de l’automne pour fleurir en hâte la tombe fraîche, je dirais que la justice, c’est peut-être du vent, mais qu’il y a dans le vent quelque chose, un peu, d’une vraie justice.

Arsène Ex-Lupin