- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Les punitions de Barrabas

un cachot clair par le bagnard Francis Lagrange [1]Chaque bagne de Guyane dispose de sa commission disciplinaire, chargée de punir le bagnard ayant commis une infraction aux règlements. Cette juridiction, que créent les décrets du 4 octobre 1889 et  du 4 septembre 1891, ne doit en principe pas infliger de châtiment corporel en vertu du décret du 18 juin 1880.  Trois punitions sanctionnent le bagnard contrevenant : la prison de nuit (le détenu travaille normalement avec les autres forçats mais dort en prison !), la cellule et le cachot. Les deux dernières peines ne doivent pas excéder deux mois, période durant laquelle le forçat travaille et  dort dans un espace clos d’environ 13m2. Le régime alimentaire (pain sec) et l’enchaînement font la différence entre la cellule et le cachot. Dans tous les cas, rares sont les bagnards qui ne sont jamais passés devant le commandant du pénitencier, assisté de deux fonctionnaires de l’AP. La punition peut entraîner une rétrogradation du fagot dans la classe inférieure (il y en a trois), c’est-à-dire qu’elle aggrave ses conditions de vie et de travail. Dans tous les cas les motifs et le cumul de punition révèlent le degré de résistance à cette institution totale que sont les camps de travail français. Le cas de Paul Rousseng est ainsi symptomatique. De 1908 à 1929, date de sa libération, il cumule 3779 jours de cachots. « Record absolu ! » a pu écrire Albert Londres.  Eugène Dieudonné le considère comme l’exemple de la contestation. Alexandre Jacob l’estime plus que légèrement dérangé : « En 25 ans de bagne, je n’ai connu qu’un seul transporté qui se plaisait en cellule. C’était Rousseng, un pauvre fou, un hystérique » (lettre au député Ernest Laffont, 11 janvier 1932). Rousseng aligne les punitions et multiplie les provocations. Il écope par exemple de trente jours de cahot pour avoir forcé le guichet de sa cellule, glissé sa tête et crié : « Une autre punition, s’il vous plait ! ». L’examen des passages d’Alexandre Jacob devant la commission disciplinaire des îles du Salut (14 entre juillet 1906 et avril 1919) peut paraître finalement banal par comparaison avec le cas Rousseng. Mais, comme lui, les motifs de punition mettent en lumière le refus du processus de normalisation pénitentiaire. Jacob ne boit pas, ne joue pas, ne vole pas, Jacob ne violente pas ses camarades d’infortune (sauf cas d’extrême nécessité), mais Barrabas communique, Barrabas écrit, Barrabas parle, Barrabas revendique, Barrabas cherche à s’évader :

 

         Juillet 1906 : « a profité du conseil d’un de ses co-détenus pour faire de l’esprit au détriment des employés et des agents de l’administration », 8 jours de cellule.

         5 novembre 1906, « confection de flotteurs dans le but de s’évader », 30 jours de cachots.

         4 mars 1907 : « infraction aux règlements », 8 jours de cellule.

         Mai 1908 : « infraction aux règlements », 4 jours de prison de nuit.

         Septembre 1908 : « tentative d’évasion », 30 jours de cachot.

         Novembre 1908 : « tentative d’évasion par bris de prison », 15 jours de cachot.

         1909 : « a causé à haute voix la nuit au quartier spécial », 15 jours de cellule.

         Octobre 1910 : « correspondance illicite », 8 jours de cachot.

         Novembre 1910 : « bavardage », 8 jours de cachot.

         Février 1911 : « bruit et bavardages, excitation de ses co-détenus à mentir devant la commission disciplinaire », 30 jours de cachot.

         Décembre 1912 : pas de punition mais passage devant la commission disciplinaire.

         Janvier 1914 : « insinuation malveillante dans une correspondance avec sa mère », 15 jours de cachot.

         Décembre 1916 : « déclaration mensongère », 30 jours de cellule.

         Avril 1919 : « absence non autorisée », 12 jours de cellule.

 

« L’absence non autorisée » masque le plus souvent l’essai raté d’un forçat pour fausser compagnie à ses geôliers. Il s’agit ici fort probablement d’une mesure de rétorsion vis-à-vis de Jacoc, acquitté  pour ce fait par le Tribunal Maritime Spécial de Saint Laurent du Maroni, seul compétent en matière d’évasion. La fréquence des punitions est tout d’abord plus courte au début de la transportation du matricule 34777 qu’à la fin. Eviter les réprimandes et les punitions constitue une stratégie consciente, surtout si le passage de classe devient envisageable. Alexandre Jacob passe à la deuxième en mars 1916 après deux ans sans punition et à la première en avril 1920. Il a purgé plus de 10 ans de travaux forcés et peut donc espérer avec ce nouveau statut améliorer son sort à un moment où les perspectives de sortie légale du bagne, par l’entremise de sa mère et des époux Aron, ne sont plus à considérer comme de simples chimères.

 

Sources :

– Archives de l’Outre Mer, H1481/Jacob, H 4098/34777 (Jacob)