- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Dieu est mort à Amiens

l\'Eglise sur la terre, caricature [1]La déclaration Pourquoi j’ai cambriolé ? n’est pas la seule que Jacob tente de placer au palais d’injustice d’Amiens. Il n’y parvient pas pour celle-là. Son expulsion de la salle d’audience, le 14 mars 1905, l’en empêche. Il réussit en revanche à déclamer huit fois avant cette date, soit autant d’attaque contre les piliers de l’ordre libéral, un ordre qui n’était pas encore une prétendue valeur politique de gauche. Jacob est bien passé de la propagande par le vol à celle par la parole. Force est de reconnaître que l’illégaliste maîtrise parfaitement sa dialectique anarchiste. Les nobles, les rentiers, l’armée, etc doivent ainsi subir les attaques rhétoriques du voleur qui ne se prive pas non plus au grand dam du président du tribunal d’abattre un des fondements moraux de l’autorité et de la société : l’Eglise. A Amiens, Jacob a tué Dieu et ses serviteurs. Les deux textes qui suivent prouvent que cette déclaration anticléricale a bien été prononcée. On la trouve dans la grande presse bourgeoise mais aussi dans un des rares soutiens libertaires aux travailleurs de la Nuit : Germinal, le journal d’Amiens.

palais de justice d\'Amiens [2]Dossier de presse « la bande sinistre et ses exploits »

Procès d’Amiens

3e audience, 11 mars 1905

Une déclaration de Jacob

A peine le témoin a-t-il terminé sa déposition, que Jacob demande à placer la déclaration qu’il à faire sur les prêtres. Le moment est bien choisi, dit-il. Et il commence:

Si je devais retracer tous les crimes commis par les prêtres au nom de Dieu: l’Inquisition, les guerres religieuses, les assassinats des amis de la vérité, plusieurs audiences n’y suffirait pas. La religion est morte, la science l’a tuée. Je ne piétinerai pas un cadavre.

Sous prétexte de procurer les délices du monde futur, avec des mômeries ils acquièrent des richesses. J’en peux parler en connaissance de cause. J’ai cambriolé assez de prêtres. Chez tous j’ai trouvé un coffre-fort et quelquefois plusieurs. Ils ne renfermaient pas des harengs saurs, je vous prie de le croire. S’ils contenaient quelques hectogrammes de pains à cacheter, ils contenaient aussi de fortes sommes que des imbéciles envoyaient à Dieu et que les porte-soutane gardaient. Les églises ne sont que des entreprises commerciales; ce sont des appels incessants au gousset. Et voilà les charlatans qui osent m’appeler voleur et qui m’accusent. Mais je suis bon prince. Je ne leur en veux pas. Je leur donne ma bénédiction. Ainsi soit-il !

Manchette du journal libertaire amiénois Germinal [3]Germinal

N°14

Du 23 avril au 7 mai 1905

Déclaration de JACOB: La Religion

Messieurs,

Ce n’est pas sans un profond sentiment d’horreur mêlé de haine que l’on se souvient des crimes commis au nom de Dieu et sanctifiés par l’Eglise. S’il me fallait rappeler les lugubres épopées de l’Inquisition, les sanglantes tueries des guerres religieuses, l’odieux massacre de la Saint-Barthélemy, les dragonnades et enfin les assassinats d’un grand nombre d’amis de la Vérité, des journées entières n’y suffiraient pas. Aussi quoique ces faits soient l’oeuvre des prêtres, je me tairai a cet égard. La religion est morte, la science l’a tuée, je ne veux pas piétiner sur un cadavre, je me bornerai a dire mes impressions sur l’Eglise d’aujourd’hui sans m’occuper de ce qu’elle fut jadis.

A mon avis l’Eglise est une immense boutique où des aigrefins en soutanes se livrent a des mômeries devant une foule de dupes à qui ils extorquent de beaux écus contre un paradis illusoire. La prêtraille ne prêche le renoncement que pour mieux s’approprier les richesses, elle promet les délices d’un monde futur, que pour mieux dominer celui-ci.

Pour ma part, je puis parler avec compétence de leur prétendu mépris pour les trésors de ce bas monde.

J’ai visite, fouille et épuré bon nombre de leurs repaires. Dans presque tous j’y ai trouvé un coffre-fort, quelquefois plusieurs. Comme l’on s’en doute, ces meubles ne renfermaient pas des harengs saurs. II s’y trouvait bien quelques hectogrammes de pain à cacheter, mais aussi un grand nombre d’ustensiles de magie en métaux précieux, ainsi que de fortes sommes que les fidèles adressent a un Dieu et que les porteurs de froc gardent pour eux.

Or, quelle est l’origine de ces richesses, sinon la fourberie et l’imposture ? II suffit de visiter la moindre de ces églises pour se convaincre de ces vérités : à chaque pas ce sont des appels au gousset.

Donnez à Sainte-Marie pour les âmes en purgatoire ; à Saint-Joseph pour la rémission de vos pêchés ; donnez à Saint Ceci pour gagner son indulgence; donnez à Saint Cela pour aller droit en paradis.

Etes-vous asthmatique, goutteux, rhumatismant, cardiaque, borgne, boiteux, voire même cul-de-jatte ? Donnez, donnez encore et vous serez guéri.

Voulez-vous gagner la forte somme, le gros lot ? Voulez-vous faire un riche mariage, voulez-vous réussir dans n’importe quelle affaire? Donnez, donnez toujours et Saint ­Antoine exercera vos voeux.

Voilà les charlatans qui osent m’appeler voleur ; voilà les escrocs qui appellent contre moi les foudres de la loi. On avouera qu’ils ont un fier toupet.

D’autre part, je m’explique mal leurs reproches, car enfin que leur ai-je fait, sinon m’efforcer de les mettre d’accord avec leurs principes.

Voilà de pauvres brebis égarées, me suis-je dit, qui se sont laissées corrompre par les idées de cupidité qui pervertissent ce monde. Il me suffira de quelques saignées à leurs richesses pour les mettre dans la bonne voie en leur démontrant le peu de stabilité des trésors terrestres.

S’ils ne m’ont pas compris c’est qu’ils sont sans doute incorrigibles et ne changeront probablement jamais de conduite.

Néanmoins comme je suis bon prince, je veux bien leur accorder mon absolution.

Ainsi-soit-il.

JACOB