- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Léon PELISSARD à la prison de Saint Martin de Ré, 1905

 la citadelle de Saint Martin de Ré [1]

Le travailleur Léon Pélissard est condamné par la cour d’assises de la Somme à huit ans de travaux forcés. En vertu de la loi sur la transportation qui institue le doublage, l’ancien Travailleur de la Nuit doit donc finir sa vie en Guyane puisque tout retour en métropole lui est désormais interdit. Comme tous les forçats en partance, le condamné Pélissard attend son départ pour la colonie pénitentiaire à la prison de Saint Martin de Ré. Les deux lettres (adressées à son frères er sa sœur) contenues dans son dossier nominatif sont relativement instructives quant au déroulement du procès d’Amiens.

  

N° d’écrou : 3836

Entrée : 19 avril 1905

Commencement de la peine : 22 avril 1903

Libérable le : 22 avril 1911

Religion : catholique, [écrit en rouge] ne veut pas assister aux offices

Condamnations antérieures :

1er mars 1886 : Lyon, outrage et rébellion et port d’armes, 1 mois et 16 francs

2 novembre 1886 : Lyon, coups et blessures, 6 mois

21 juin 1888 : Valence, pèche, 50 francs

10 septembre 1888 : Lyon, coups et blessures, 6 mois et 5 ans d’interdiction de séjour

20 mai 1895 : Assises du Rhône, vol qualifié, 5 ans de réclusion et 5 ans d’interdiction de séjour

23 novembre 1898 : libéré conditionnel

1er mai 1899 : Lyon, interdiction de séjour, 4 mois

5 février 1901 : Lyon, interdiction de séjour, 6 mois

Utilisation possible du travail : peut être occupé aux travaux de terrassement ou de défrichement

Sortie de la maison d’arrêt : 30 juin 1905

 

Léon Pélissard 1903 [2]LETTRE N°1 : Adressée à Monsieur Joanny Pélissard, 912 Alix Street, Los Angeles, Californie (Etats Unis)

 

 

 

 

Dépôt de Saint Martin de Ré

Le 7 mai 1905

Léon Pélissard

N° d’écrou 3836

Atelier corset 

Mon cher frère,

Comme tu le présumais, je suis bel et bien relégué et la cour en cela, sous le fallacieux prétexte de pouvoir discrétionnaire, a tout bonnement fait une chose arbitraire car ma relégation n’a nullement été prononcée à l’audience puisque aucun de tous les journaux de France n’en fait mention. Ils étaient cependant quelque chose comme trente journalistes au verdict, sans compter l’agence Havas et l’agence Fournier ; il serait donc étonnant que tous ces gens là n’aient pas entendu prononcer ma relégation  si elle avait été prononcée et, comme je n’étais pas présent au verdict, on a rien trouvé de mieux que de l’ajouter à la signification de mon jugement qui m’a été donné huit jours après, que veux-tu, c’est la justice moderne.

Tu trouves qu’étant condamné pour association de malfaiteurs, je n’ai pas été bien salé ? C’est une erreur car d’abord cette association n’existait pas et, en nous l’appliquant, on a voulu nous faire un procès de tendance et crois que ce n’est pas l’envie qui leur a manqué de nous appliquer le maximum. Mais ils se sont souvenus que les députés avaient promis en 1895 ou 96 de ne pas mettre en vigueur cette loi qu’ils avaient votée en 1894 et c’est la seule chose qui les a retenue ; mais ils ont fait des gaffes en condamnant plusieurs innocents, entre autre un écrivain bien connu à Paris par ses écrits sur la philosophie libertaire ; et cela fait grand bruit en ce moment car tout ce qui vit de la plume dans la capitale lui est sympathique et fait de nombreuses protestations, ainsi que la société des droits de l’homme qui s’occupe de notre procès.

Si tu veux connaître nos déclarations et professions de foi, le « Germinal » journal du peuple, à Amiens, les a insérées ; c’est un journal qui paraît tous les quinze jours ; tu n’aurais donc que trois ou quatre numéros à cinq centimes. Ce n’est pas une dépense très importante et c’est très intéressant.

Je suis actuellement à l’île de Ré en attendant le départ pour la Guyane qui se fera, je crois, en juin prochain ; en répondant de suite, je pourrais avoir ta lettre ici.

Bien le bonjour chez toi et à bientôt de tes nouvelles

Je te serre une bonne poignée de main

Léon Pélissard

Au dépôt des forçats de Saint Martin de Ré

 

 

Léon Pélissard par Romain Louvel [3]LETTRE N°2 : Adressée à Madame Jeanne Calson (ou peut être Colson), 13 rue du Château Millau, Amiens

 

 

 

 

Dépôt de Saint Martin de Ré

Le 11 juin 1905

Pélissard Léon

N° d’écrou 3836

Atelier corset

 Ma chère sœur,

L’impolitesse de mon avocat envers toi m’a profondément affecté ; songe que cet homme est allé à l’école jusqu’à vingt cinq ans et juge si comme moi il en était sorti à l’âge de onze ans ; si tu conservais encore quelques illusions sur les faux dehors de ces gens-là, je crois que cette fois-ci tu en seras bien guérie.

La fourberie de cet homme là est vraiment révoltante ; quand je pense que pour avoir ma défense il s’est offert à moi comme professant des idées libertaires et qu’en fin de compte c’est un véritable caméléon, je ne suis plus étonné de toutes les mesquineries qu’il se permet impunément à ton endroit.

Tu as bien raison de ne pas lui écrire car il ne vaut pas les quinze centimes que cela t’aurais coûté mais si parfois il te rencontrait dans la rue et qu’il ait la platitude de venir te parler, fais lui sentir qu’une prolétaire peut avoir autant de fierté qu’un riche en l’écrasant d’un suprême mépris.

Si tu savais combien je souffre de te savoir en butte à toutes ces tracasseries pour moi ! Tu peux croire que si j’étais à Amiens, tout cela aurait d’abord fini, si je pouvais seulement bénéficier d’une révision, je te pris de croire que je me dégonflerais.

Enfin ma pauvre Jeanne, te voilà en possession d’un de mes manuscrits, je pense que c’est le premier, c’est à dire le plus gros, tu pourras te dédommager un peu en le lisant, tu me diras si tu l’as trouvé à ton goût. La photographie que l’on t’a remise est-elle celle que j’avais, c’est à dire celle qu’on doit te remettre ? J’y suis en buste, tête nue, trois quart de face, col droit à coins cassés. Je m’étais fait tiré un mois avant mon arrestation chez un photographe des grands boulevards de Paris.

Lorsque tu prendras possession de mon second manuscrit, tu leur demanderas sous quelle forme ils le publieront, dans leur journal ou en brochure, pour que tu puisses te les procurer ainsi que la maman que j’avertirais. Dis leur aussi qu’ils réclament à mon avocat la chanson que je lui avais remise pour eux le 18 mars de cette année, date mémorable puisque c’était l’anniversaire de la Commune, et c’était à cette occasion que je l’avais composée. Mais voilà cet avocat a un ami grand amateur de musique, ce qui me fait fort douter qu’il s’est approprié mes diverses compositions qui n’étaient pas à dédaigner et cela de l’avis de plusieurs personnes compétentes, et de lui-même. Enfin, il est écrit que je dois endurer tous les supplices.

Heureusement que j’ai une petite sœur qui se charge de leur mener la vie dure et combien j’ai été content de voir que tu n’avais pas marchandé tes expressions à cette vieille domestique qui t’as si mal reçue. Il faut nous rebiffer ma Jeanne et leur faire sentir que quoiqu’enfant du peuple nous avons un cœur vibrant dans la poitrine qui nous défend de nous prosterner devant aucun être vivant.

Tu regarderas s’il ne manque pas des pages à mes livres. Je les avais numérotés car je me suis aperçu que mon avocat en avait coupé une que j’ai vue parmi ses papiers un jour qu’il était venu me voir.

Je t’accuse réception de trois lettres : 2, 6 et 8 juin.

Adieu ma petite sœur bien aimée, quand pourrai-je m’acquitter de tous mes bons soins ? Car enfin c’est une véritable fortune qu’une sœur comme toi. J’aurais beaucoup à faire je crois pour être quitte.

Mille baisers à partager entre toi et Maurice.

Ton frère qui t’aime bien

Léon Pélissard.

 

Source : Archives Départementales de la Charente Maritime, dossier 1Y306

Dossier nominatif de Léon Pélissard, interné au dépôt pénitentiaire de Saint Martin de Ré

 

Pélissard fait allusion à Jacques Sautarel lorsqu’il évoque à son frère Joanny « un écrivain bien connu ». La lettre à sa sœur révèle combien il pourrait être intéressant de retrouver les papiers du bagnard en partance. Cela pourrait se faire à partir des archives de son avocat à Amiens Me Pecquet si celles-ci, bien sûr, existent encore et cela nous permettrait d’enrichir notre connaissance des Travailleurs de la Nuit.