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William Godwin
A CONTRETEMPS n° 9 - septembre 2002

Longtemps William Godwin (1756-1836) eut mauvaise réputation : écrivain médiocre, philosophe poussif et contradictoire, rationaliste borné, personnage vaniteux... Si l’on ajoute à cela, sans doute par ignorance, un total désintérêt pour ses idées chez les penseurs de l’anarchisme classique - hormis Kropotkine - , on peut se demander ce qui a bien pu déclencher chez Alain Thévenet une telle sympathie pour cet Anglais des Lumières qui, tout en se méfiant des révolutions, proposait d’« euthanasier » les gouvernements.

La réponse, au moins partielle, c’est A. Thévenet qui la donne : la vie même de Godwin, cette vie, « fluctuante », « tentée parfois par le désespoir », faite d’ « épreuves » et de « petitesses », cette vie où « frémit » une œuvre « autrement complexe » qu’on a bien voulu le prétendre. Au-delà de cette première explication, une autre pointe, plus large : une possible adéquation entre deux époques celle de Godwin et la nôtre - qui, pour être de transition, auraient quelques points communs. Et davantage l’œuvre de ce Godwin qui, héritier des Lumières, pensait le droit tout en contestant l’idée jacobine de l’État, contiendrait « quelques traces de vérité » bonnes à prendre. Un viatique pour « temps incertains ». en quelque sorte, quand la mythique révolution semble avoir déserté le champ du possible.
Un des grands mérites de ce Godwin, des Lumières à l’anarchisme réside dans la liaison qu’A. Thévenet opère en permanence entre la vie et l’œuvre de Godwin. S’appuyant tout à la fois sur son journal intime et sur une parfaite connaissance de ses écrits, le biographe analyste mêle habilement l’une et l’autre en des chapitres aux titres évocateurs : « Comment devenir anarchiste lorsque rien n’y prédispose » ou « Comment on peut être anarchiste dans la tourmente et cependant garder raison »...
La vie de ce fils de pasteur calviniste, élevé dans la crainte de Dieu et s’en libérant par la lecture de d’Holbach, Helvétius et Rousseau, a, il est vrai, de quoi séduire un esprit curieux, car elle n’est pas simple. Ainsi, c’est le même Godwin, rigoriste et froid, qui voue un amour éternel à la rebelle Mary Wollstonecraft, dont la liberté défraie la chronique des mœurs. Ou encore, c’est le même Godwin, partisan d’une libre éducation, qui s’oppose à l’union jugée scandaleuse de sa fille Marie, futur auteur de Frankenstein, avec le poète Shelley, pourtant familier du père. Éternellement contradictoire. Godwin n’en est, pour A. T’hévenet, que plus humain dans sa recherche d’un permanent équilibre. Au plan des idées, il en va de même. Quand survient 1789, il soutient la Révolution française, mais se méfie de ses excès. Au cœur d’un monde qui vacille, il cherche à comprendre, au-delà des illusions et des idées reçues de son époque, quel gouvernement peut garantir aux hommes la plus vaste liberté et le plus juste droit. Pour ce faire, il ne croit ni au conservatisme de Burke ni au progressisme de Paine, ni à la glorification du passé ni à la naissante idéologie des droits de l’homme. Sa réflexion débouche, en 1794, sur la publication de son Enquête sur la justice politique, dont l’idée de base est, pour le moins, à contrecourant des polémiques de l’époque : le meilleur gouvernement est celui qui n’existe pas. Le livre aura un immense succès en Angleterre, avant que son auteur ne disparaisse progressivement des mémoires.
Ce va-et-vient permanent entre la lumière et l’ombre, entre la notoriété et l’oubli, entre la relative aisance et la misère, entre l’optimisme et le pessimisme caractérise une existence singulière et fonde une oeuvre multiple et, par certains aspects, étrangement ambivalente. L’étudiant de très près, cette oeuvre, A. Thévenet en défait certaines critiques péremptoires, dont celles qui n’y voient que la manifestation réitérée d’un rationalisme étroit et d’un irréalisme utopique. Pour lui, l’une et l’autre relèvent de l’incompréhension ou du contresens. Si Godwin est effectivement un rationaliste, c’est que, en homme de son temps, il met la raison au centre du mouvement de la pensée. A la différence de Kant ou d’Hegel, cependant, cette raison ne l’incline pas à être « raisonnable », mais « raisonneur », comme l’est en général - ou devrait l’être - l’anarchiste, qui conteste la vérité admise et cherche la sienne propre. Quant à l’irréalisme de Godwin, A. Thévenet y voit une éternelle resucée du ,principal reproche qu’on adresse aux anarchistes de toutes époques, et de tous lieux, façon somme toute hâtive de discréditer cette entêtante manie qu’ils ont de prétendre changer non seulement le monde, mais la perception du réel qui lui sert de base.
Au fond, laisse entendre A. Thévenet, Godwin était un modeste qui croyait davantage à la perfectibilité des êtres qu’à la perfection sociale. D’où sa « méfiance à l’égard de l’idée même de révolution » et son inappétence pour le mythe révolutionnaire. Son anti-étatisme reposait sur une idée simple : l’inamovibilité de l’appareil étatique et sa transcendance s’opposaient au mouvement même de la vie (le flux). Benjamin Constant, cependant, ne s’y trompa pas : les attaques réitérées de l’insulaire anti-jacobin contre « les droits sacrés de la propriété » le fixaient définitivement, disait-il, dans le camp des partageux. Étrange Godwin, qui défendait la démocratie de proximité tout en se défiant des associations, qui enseignait que « l’homme est fait pour la société » tout en glorifiant l’individu solitaire, qui manifestait avant l’heure une évidente sensibilité écologique tout en croyant aux vertus du machinisme et du progrès illimité. Contradictoire, alors ? Dynamique, préfère A. Thévenet. Dynamique parce que complexe.
Restait à s’interroger sur l’actualité de la pensée de Godwin, ce que ne se prive pas de faire l’auteur. A l’en croire, il y aurait du Godwin chez Agustin Garcia Calvo, chez Murray Bookchin, chez John Clark et chez Hakim Bey. On pourra toujours s’interroger sur la pertinence d’une telle quête d’héritage. II n’empêche, cela ne retire rien au reste : A. Thévenet nous livre une intéressante biographie politique de Godwin, et c’est sans doute là l’essentiel.

FREDDY GOMEZ