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Vivre l’anarchie
Avant-propos
Nous reproduisons ici les actes du colloque Vivre l’anarchie : expériences communautaires et réalisations alternatives antiautoritaires (XIXe et XXe siècles) qui s’est tenu du 1er au 3 mai 2009 au château de Ligoure (à côté de Limoges). Organisée à l’initiative du Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA) du Limousin, cette rencontre a permis pendant trois jours aux nombreux participants (150 environ) qui s’étaient déplacés de France et de Suisse de débattre et d’échanger, parfois d’une manière animée, mais toujours constructive, tant de leurs expériences que de leurs points de vue respectifs.
L’idée de l’organisation d’un tel colloque part du constat qu’aujourd’hui, après les années de doute qui ont suivi la chute du mur de Berlin et l’effondrement du communisme, de plus en plus de personnes, par-delà leurs différences idéologiques de départ, s’interrogent sur les moyens qui pourraient permettre d’éviter les erreurs sur lesquelles ont échoué les tentatives émancipatrices du passé.
Les questions sont partout les mêmes : comment reconstruire un projet émancipateur crédible à l’échelle humaine ? Comment faire en sorte que le projet de réconcilier l’homme avec lui-même n’aboutisse pas à la mise en place d’affreuses dystopies ? Comment lutter pour s’opposer aux nouvelles formes d’exploitations et aux menaces de tout ordre qui pèsent sur l’humanité et la planète tout entière ?
Nous pensons, tout particulièrement, qu’il est impossible de s’interroger sérieusement pour savoir où l’on va sans un réexamen critique des expériences émancipatrices du passé et de leurs prolongements actuels.
Fait symptomatique, tout un pan de la tradition socialiste et ouvrière, que l’approche marxiste stalinienne dominante avait stigmatisé comme utopiste, sort de l’ombre. Qu’il s’agisse du commerce équitable, des vertus du crédit gratuit ou de l’économie sociale, nous assistons à une véritable réhabilitation posthume d’une tradition émancipatrice qui avait été déjà celle des premiers socialistes et qu’il est possible de retrouver dans de multiples manifestations anarchistes du XIXe et du XXe siècle.
Loin de l’image d’Épinal de l’anarchiste poseur de bombes ou doux rêveur, les courants libertaires ont su impulser dès leur origine des pratiques militantes visant à favoriser le changement social radical au moyen de réalisations de projets de communautés de vie ou de travail en rupture avec les conditions de vie et de production de leur temps. Cette volonté de commencer les transformations souhaitées ici et maintenant sans attendre le jour hypothétique de la révolution sociale, que nous appelons l’anarchisme réalisateur, n’a pas été l’apanage exclusif des courants libertaires. Elle prolonge, à sa manière, les pratiques des réformateurs sociaux d’avant 1848 qui, tel Fourier, étaient partisans non pas de vagues rêves utopiques aux conséquences inévitablement totalitaires ou liberticides, mais de ce qu’ils présentaient explicitement comme des formes d’expérimentation sociale.
En organisant ce colloque, le but principal que nous nous sommes fixé a été de contribuer à mieux connaître et faire connaître ce qu’il faut considérer comme une conception à part entière du changement social radical qui déborde le cadre strictement libertaire et qui a été jusqu’ici occultée (pour différentes raisons) tant par les anarchistes insurrectionnels et/ou syndicalistes que par les marxistes, toutes tendances confondues.
Certes, cette tradition réalisatrice a pu assumer selon les lieux et les circonstances de multiples aspects, parfois difficilement conciliables, voire ouvertement contradictoires entre eux, que nous n’avons nullement cherché à occulter ou à minimiser. Les textes des interventions que nous avons réunies dans ce volume sont là pour l’attester. Il n’en demeure pas moins qu’il existe entre presque toutes ces manifestations une sorte de fil conducteur commun qui permet de relier entre eux aussi bien les expérimentations sociales du coopérateur Fourier et de ses disciples que les tentatives communautaires du communiste-anarchiste Rossi, les projets mutuellistes de crédit gratuit prônés par Proudhon dans le domaine économique ou les essais de « camaraderie amoureuse » menés par l’ex-communiste chrétien, puis théoricien de l’individualisme anarchiste, Armand.
Un dernier mot, enfin, pour remercier chaleureusement tous ceux et toutes celles qui, grâce à leur soutien financier ou leur aide matérielle apportée lors des trois jours du colloque, nous ont aidés à réaliser ce projet qui a été intégralement autofinancé.
Gaetano Manfredonia
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