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La vie sera mille fois plus belle
Réfractions n° 25 automne 2010

C’est sous un titre porteur d’espoir, à l’image de ce que fut la Révolution espa¬gnole, que l’Atelier de création libertaire publie la traduction de l’étude que Martha Ackelsberg, universitaire nord-américaine et militante féministe, a consacré aux Mujeres Libres, organisation de femmes anarchistes espagnoles.
Dans cet ouvrage, basé sur les témoignages de nombreuses protagonistes, l’auteur montre comment cette organisation trouve son origine au sein du mouvement libertaire et anarcho-syndicaliste espagnol, tant dans ses positions théoriques que dans ses pratiques, mais tend également à le dépasser. Car si les anarchistes espagnols, en règle générale, avaient bien conscience du problème spécifique de l’oppression des femmes, et le dénonçaient, force est de constater que dans la pratique, il n’était pas toujours dans leurs priorités. Concrètement, beaucoup d’hommes reléguaient les femmes au rang d’auxiliaires dans la lutte pour l’émancipation collective. Ainsi, même dans les syndicats où elles étaient majoritaires, comme dans celui du textile, les hommes occupaient seuls les fonctions de dirigeants et de représentants aux congrès. Nombreux sont également les témoignages de compagnes évoquant le déni, les moqueries des hommes, ainsi que le manque de crédit qu’on leur accordait lors des réunions collectives. Et pendant les premières semaines de la guerre, même si l’image de la milicienne en armes fut largement diffusée et glorifiée, dans la réalité, les femmes étaient souvent cantonnées à des tâches considérées comme féminines : cuisine, lessive, soins... La condition de subordination imposée aux femmes dans la société espagnole, tout comme l’impossibilité de s’affirmer au sein du mouvement libertaire est à l’origine, en 1937, de la création de l’organisation Mujeres Libres.
Les buts des militantes étaient multiples : lutter contre l’image attribuée traditionnellement aux femmes d’épouse et de mère, revendiquer l’égalité, éduquer, « éveiller la conscience féminine aux idées libertaires » (p. 141), « afin de former les femmes et de les émanciper du triple esclavage qu’elles ont subi et continuent de subir, l’esclavage de l’ignorance, l’esclavage en tant que femmes et l’esclavage en tant que productrices (statuts de Agrupacién Mujeres Libres, p. 151). La publication d’un journal, la création de centres de formation, l’organisation de conférences, la fondation de garderies afin de permettre la prise de responsabilités syndicales, furent autant de moyens mis en oeuvre. Dans le contexte particulier de la guerre, Mujeres Libres se donna également pour objectif de lutter contre l’influence des autres organisations féminines (en particulier celle du PC) qui ne cherchaient qu’à les encadrer, mais non à les émanciper.
Le livre révèle que, si le travail mené par les Mujeres Libres changea le quotidien et la vie, de dizaines de milliers ch femmes, elles durent néanmoins faire face sinon à une hostilité parfois manifeste, du moins à un certain désintérêt et à ut manque de soutien de leurs compagnons et plus particulièrement des instance dirigeantes de la CNT, qui les accusèrent à tort, de semer la division et de sape l’unité. La place du combat pour l’affranchissement des femmes suscita au sein du mouvement libertaire des débats houleux pour certains, il devait se mener dans le organisations traditionnelles (CNT, FAI FIJL), la victoire de la révolution social (leur permettant d’atteindre la liberté et l’égalité ; pour d’autres, l’émancipation pourrait faire l’économie d’un mouvement féminin spécifique qui, bien que lié au : organisations libertaires, serait autonome. La contre-révolution galopante au sein de la République, puis la victoire du fascisme mirent un terme à ces questions.
Considérant le mouvement féministe d’alors comme bourgeois, car négligeant les déterminismes et intérêts de classe, les Mujeres Libres ont toujours refusé cette étiquette. Au regard de l’évolution de théories féministes, elles trouvent cependant aujourd’hui toute leur place au sein de ce courant et de ses luttes que, par leur exemple et leur attitude, elles doiven nourrir. C’est ce que signale Marthe Ackelsberg en réalisant des allers-retours permanents entre les positions de ces femmes anarchistes espagnoles et celle des mouvements féministes radicaux contemporains.

David Doillon

Free Woman of Spain : Anarchism and the struggle for the Emancipation of Women, Bloomington Indiana University Press, 1991. Saluons ici le travail de traduction mené par nos deux compères, Marianne Enckell et Alain Thévenet.