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Enquête sur la justice politique
Le Monde libertaire n° 1445 du 29 juin au 12 juillet 2006

Première édition en français de l’Enquête sur la justice politique de William Godwin

« En matière de révolte, nul ne devrait avoir besoin d’ancêtres. » Cette phrase d’André Breton est magnifique. Un peu sotte, aussi. Les ancêtres ont ceci d’utile qu’on peut se servir de leurs bonnes idées, tout comme on peut éviter de répéter leurs erreurs.
En matière d’anarchisme, le grand ancêtre s’appelle William Godwin, auteur d’une Enquête sur la justice politique, pour la première fois intégralement traduite en français par Main Thévenet, avec la collaboration de Denise Berthaud, et publiée par l’Atelier de création libertaire (600 pages, 25 euros).

Diogène a certes démontré que les riches sont ennemis de la liberté que nous pouvons reconquérir dès . que nous voyons qu’un puissant n’est qu’un être humain. La Boétie a certes démontré que les tyrans ne se maintiennent que parce que nous ne savons pas nous unir.
D’Holbach a certes démontré (dans le Christianisme dévoilé qu’il n’a pas osé signer) que Dieu est un rêve et le christianisme un cauchemar. Kant a certes démontré que le savoir métaphysique est impossible et qu’une morale fondée exclusivement sur des principes humains et rationnels est possible. Mais c’est Godwin qui, pour l’anarchisme, a mis en route l’effet Concile.
Pardon ?
Les livres à inclure dans la Bible chrétienne n’ont été sélectionnés qu’à un concile, plusieurs centaines d’années après la vie, présumée, de Jésus. Pascal Boyer, dans Et l’homme créa les dieux, rappelle qu’à peu près toutes les religions ont commencé sous forme de bribes, de fragments, de petits bouts. Qui n’ont été coagulés que bien plus tard, par un clergé. C’est-à-dire par un groupe de spécialistes déterminés à s’approprier l’exclusivité de la fourniture de services religieux. Pour préserver cette exclusivité, ce groupe délimite une doctrine uniforme, normative. Comparaison désobligeante pour Godwin, oui. Mais parlante. C’est Godwin qui, le premier, voit ce que le souvenir des révoltes du passé, les idées nouvelles des Lumières et les révolutions présentes en Amérique du Nord et en France ont en commun. Et c’est lui le premier qui ; de ces notions éparpillées, déduit un système cohérent, un ensemble de postulats, d’axiomes, de théorèmes, de constatations, d’accusations et de propositions. Lui le premier athée qui affirme que le gouvernement engendre toujours plus de problèmes qu’il n’en résout, que l’inégalité des richesses pourrait disparaître si l’on substituait l’échange au commerce, que le mariage enferme plus qu’il ne protège, que les lois sont inutiles à une société d’êtres raisonnables. En gros, ni Dieu ni maître.
Michel Onfray a écrit l’avant-propos. Il en fait peut-être beaucoup pour ne pas être accusé de vénération d’ancêtre, d’anarchistodulie. Il a beau jeu de rappeler que le best-seller de Godwin (car le livre fut un énorme succès lorsque parut la première édition en 1793) n’est pas exempt de contradictions. Ou que Godwin lui-même n’a guère vécu en révolutionnaire au couteau entre les dents, surtout après la mort de sa première épouse, la première féministe anglaise, Mary Wollstonecraft, auteure de Défense des droits de la femme ; si peu, d’ailleurs, que l’époux de sa fille, le poète Shelley, dut refroidir sa première admiration, éperdue, pour l’homme, même s’il conserva toujours sa gratitude à l’auteur.
En revanche, Onfray utilise une formule juste pour qualifier Godwin : « proto-anarchiste ». Le mot anarchisme ne s’appliquera consciemment à un mouvement politique organisé que quatre-vingts ans plus tard. Mais l’essentiel de la doctrine, de l’idée est déjà là, chez lui. Si l’on s’intéresse à la genèse de l’idée anarchiste, il est indispensable de lire Godwin.
En tant qu’anglophone, je reste pénétré de stupéfaction et de respect effaré devant l’énorme travail accompli par Main Thévenet avec l’aide de Denise Berthaud. Intrigué par la découverte qu’Alain Thévenet vouait une très large part de sa vie à la traduction de Godwin, je m’essayai à mon tour à le traduire, discrètement, dans un coin, sans prévenir personne.
Mais la phrase riche, longue, complexe, enroulée de Godwin, qui toujours cherche à pénétrer plus profond dans sa pensée, à la préciser à l’infini, terrifia le traducteur à seize soupapes que je suis. Or, non seulement cette traduction géante est précise, elle est belle ! Les francophones le sentiront. Cependant que, texte original en main, les anglophones se jureront de ne plus aborder Mylord Thévenet que chapeau bas.

Nestor Potkine