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Anarchy alive !
Préface de Vivien García

Non seulement l’anarchisme est bien vivant, mais il est en bonne forme. Uri Gordon le proclame dès le titre de son ouvrage. Qui pourrait n’y entendre qu’une vaine allégation trouvera dans cette lecture de quoi dissiper ses doutes. Elle lui offrira d’abord un instantané présentant une bonne part des pratiques libertaires en vigueur aujourd’hui. Elle l’introduira ensuite à quelques débats qui en sont issus et les accompagnent. La vie dont il est ici question prendra tout son sens. Elle a si peu à voir avec la perpétuation de fonctions qui, essentielles dans la seule mesure où elles évitent le trépas, ne préservent en rien de la répétition mécanique, des rituels vides et de l’ennui généralisé. Cette vie se dévoile au contraire sous les traits d’une multitude en mouvement qui, luxuriante, brille d’inventivité. Le livre qui se loge entre vos mains, en même temps que d’en offrir un panorama encore sans égal, y contribue pleinement.

Il vient notamment s’ajouter à la liste, en perpétuelle extension depuis plus d’une décennie, des travaux de qualité, réalisés dans un cadre universitaire, qui s’intéressent aux gestes et pensées anarchistes. Il y a peu de temps encore, de telles recherches, lorsqu’elles n’étaient pas subordonnées à quelque volonté de dénigrement, faisaient figure d’exception. Dans certaines disciplines, elles devaient se préparer à affronter un mépris (qu’il n’était même pas la peine de rendre explicite) les prédéterminant à se voir considérées comme fantaisistes et d’intérêt secondaire. Il semble que les temps aient un peu changé. Sur le vieux continent, de plus en plus souvent, on aperçoit le fleurissement de ce genre d’études. Mais c’est sans doute dans les pays anglophones, en particulier outre-Atlantique, qu’elles paraissent les plus nombreuses. Au point que plusieurs initiatives visent à les recenser [1] ou à fédérer les personnes impliquées dans de tels projets [2]. L’écrit que nous avons le plaisir de présenter ici est largement issu de ce contexte. Il est le fruit, comme son auteur le rappelle à plusieurs reprises, d’un travail de doctorat mené à l’université d’Oxford. Il introduit, utilise et discute bon nombre des perspectives qui virent le jour dans la situation exposée plus haut. Avec beaucoup d’entre elles, il partage vivacité de questionnement et acuité d’analyse. À de rares endroits, il en reproduit aussi quelques défauts. Une généalogie locale, brossée à grands traits, prend parfois des allures d’explication générale. Il fait peu de doutes que plusieurs assertions passeront, aux yeux d’un public européen, pour de bien malheureux raccourcis historiques.
Cette ombre triste ne saurait toutefois ternir l’ensemble d’un tableau qui compte de bien réjouissantes contreparties. En Europe francophone, la traduction de cet ouvrage offre peut-être la première introduction générale à des préoccupations et courants qui structurent une bonne part des réflexions libertaires en Amérique du Nord et, par communauté linguistique, dans le monde anglophone. Les controverses autour de l’opposition entre anarchisme social et anarchisme « style de vie » sont replacées dans le contexte et l’historicité qui leur sont propres. On mesurera combien c’est sous un jour différent qu’elles purent être entamées une fois l’océan traversé. Il en est de même du concept de biorégionalisme. Son introduction en France, en plus de sa publicité marginale, recelait bien peu de raisons d’attiser l’intérêt des libertaires. Car ce sont principalement des idéologues d’extrême droite qui s’essayèrent à cette importation, à la fin des années quatre-vingt-dix. Dans un autre registre, les principaux traits caractéristiques de certaines branches de l’anarchisme dont l’existence demeure, en France, anecdotique sont présentés. Il en est ainsi du primitivisme et de l’insurrectionalisme. Enfin, des discussions plus théoriques comme celles portant sur le postanarchisme ou les perspectives anarchistes poststructuralistes ou postmodernes sont abordées.
Mais à la différence d’autres travaux académiques, celui proposé ici ni n’embrasse ni ne feint l’attitude de surplomb que recouvre trop souvent le point de vue de la science. Le mode d’expression adopté abonde en ce sens. Le style se veut des plus clairs. Certes, il semble toujours possible de douter que le respect d’une telle exigence ne connaisse aucune faille. La langue qu’emploie Uri Gordon n’est d’ailleurs pas dépourvue d’aspérités. La présente traduction a néanmoins été réalisée en prêtant la plus grande attention à cette ferme volonté d’aboutir à un texte compréhensible, aussi complexes puissent paraître les idées détaillées.
La revendication d’une perspective militante précise encore cette rupture avec le discours universitaire traditionnel. Au fil du texte, par de brèves incursions, il est rappelé que les réflexions exprimées sont pour la plupart issues de problèmes effectifs rencontrés par les libertaires. L’implication de l’auteur ne souffre aucun doute. Le chapitre qui traite de la situation actuelle en cet endroit qu’il nomme successivement Palestine-Israël et Israël-Palestine en livre un saisissant témoignage. Habitant de cette terre, farouchement opposé à sa colonisation, il décrit plusieurs épisodes passés des luttes communes qui ont pu réunir des personnes appartenant aux deux peuples en présence. Il en trace aussi les horizons possibles. Uri Gordon ne se limite cependant pas à présenter un état de fait. Comme pour chacune des thématiques abordées, le récit de ces expériences vient nourrir un examen de différentes positions représentatives qui traitent de la question. L’auteur y dévoile toutes ses qualités analytiques. Et chemin faisant, la réflexion révèle ses enjeux plus généraux : les nations, la technologie, la violence ou le pouvoir.
À aucun endroit cette partialité revendiquée ne nuit à la qualité du travail proposé. Celui-ci n’a, d’une part, aucune prétention hégémonique. Il ne se soucie guère de s’immiscer dans les querelles qu’entretiennent entre elles chapelles et Églises. L’ancrage militant implique, d’autre part, un désir de mettre au jour des considérations qui constitueront un apport pour autrui, en particulier pour les activistes. Aussi difficile que cela puisse être, rien ne sert donc de masquer les oppositions et les problèmes d’où peut surgir le désaccord. L’élaboration théorique obtenue ne possède, en outre, pas d’autres vertus que celles d’une proposition. Elle ne suggère qu’un élément supplémentaire, dont la valeur ne s’avère a priori ni supérieure ni inférieure à ceux déjà existants. Elle s’inscrit dans une réflexion collective. Quelles que soient ses formes, quels que soient les itinéraires qu’elle emprunte, la théorie anarchiste naît au cœur de l’action pour mieux y retourner.
Que l’on se rassure toutefois. Qui appréhende ce voyage en anarchie comme une expédition en terre inconnue trouvera d’autres mérites à cette démarche. Elle lui fournira des repères pour éviter l’écueil consistant à voguer sur les flots libertaires à la seule lumière des (« grands ») textes et de leur contenu conceptuel. La bibliographie utilisée est à ce propos significative. Des ouvrages théoriques institutionnels côtoient quelques écrits des figures les plus célèbres du mouvement anarchiste, des analyses contemporaines, mais surtout une abondante littérature autoproduite dont tracts et brochures constituent autant d’exemples. Pour les personnes qui n’auraient jamais posé les yeux sur ce type de support, ce livre offrira l’occasion d’une découverte. Celles, déjà familières des infokiosques et autres tables de presse en tout genre, trouveront quelques extraits de déclinaisons anglophones d’un genre qu’elles ont l’habitude de fréquenter. Parce que l’abondance des écrits cités fait du travail d’Uri Gordon une remarquable ressource, un soin tout particulier a été consacré à la transposition des références dans un format plus commun pour le grand public. Il a rarement été possible, en revanche, de pallier un des désagréments majeurs du texte anglais : la présence absolument aléatoire des indications de page. Pour l’ensemble des ouvrages cités, il a été choisi de reproduire l’intégralité des références. Pour celles qui renvoyaient à un document numérique, tous les liens ont été vérifiés. Si l’un d’eux s’avérait brisé, une autre adresse pointant vers le même texte a été proposée ; le cas échéant, l’impossibilité de le faire a été déclarée. Pour tous les écrits connaissant une traduction, celle-ci a été signifiée. Les textes originairement rédigés en langue française ont été cités directement.
Enfin, profitons que la parole soit encore au traducteur pour remercier celles et ceux qui ont donné de leur temps pour assurer à l’ouvrage proposé lisibilité et fidélité à l’original : Julie, Armand et Jean-Christophe pour leurs corrections et leurs précieuses suggestions ; Megan pour ses patientes périphrases en deux langues. Jean-Manuel Traimond qui avait commencé à traduire les premiers chapitres de ce livre a gracieusement partagé son travail, il semblait évident que son nom figurât ici.
Vivien García


NOTES :

[1. Dont le site Internet multilingue R.A. forum : <http://raforum.info/> [consulté le 4 octobre 2011].

[2. Dont Anarchist Studies Network au Royaume-Uni (littéralement : le « réseau d’études anarchistes », voir <http://anarchist-studies-network.org.uk/> [consulté le 4 octobre 2011]), le récent North American Anarchist Studies Network aux États-Unis et au Canada (littéralement : le « réseau nord-américain d’études anarchistes », voir <http://naasn.org/> [consulté le 4 octobre 2011]) ou encore la liste de diffusion « anarchist.academics ».